Les 68 premières fois, ces premiers romans qui nous procurent tant de frissons, de découvertes d’un auteur, d’une plume, d’une histoire. Ce quelque chose d’impalpable car nouveau, novateur pour certains. Ce quelque chose qui va plus loin même que la littérature, qui procure des frissons lors des rencontres, des émerveillements et des picotements dans les yeux et les cœurs. Ce quelque chose qu’il est difficile de nommer tellement la force des mots est là.
Les 68 premières fois et ces lectures qui nous donnent cette envie de continuer, poursuivre ces primo-romanciers.
Et puis surtout les 68 premières fois pour Charlotte, Nicole, Eglantine, la team qui gravite autour Sophie, Joëlle, Claire, Amélie, Philippe et puis vous, vous les lecteurs qui nous suivez, les primo romanciers qui osent, les maisons d’éditions qui jouent le jeu, les attachés de presse, la SGDL qui nous soutiennent. Un grand merci à vous tous. Un grand merci. Sans vous les 68 premières fois ne pourraient franchir les hauts murs des centres pénitenciers, sans la volonté de Charlotte, on ne pourrait ouvrir les portes et croire en la liberté des mots, leurs puissances évocatrices et leur poésie.
Gaëlle Pingault
Il n’y pas internet au paradis
Edition 2017
De par son écriture enlevée, touchante, les mots choisis, l’angle donné, Gaëlle Pingault (qui se définit comme raconteuse d'histoires) nous plonge dans cette terrible histoire d’une mort programmée avec son rire, son humour, ses petits délices radiophoniques qu’elle nous glisse, nous réchauffe, les bulles du quotidien qui relèvent la sauce, rendent incroyablement humain cette lente destruction, ce lien contemporain qui lie Aliénor à Alex au monde. Elle décortique les rouages, la lente érosion et perte de confiance, d’identité, de confiance, l’estime qui s’effrite, se perd dans les labyrinthes, couloirs et bureaux des Grands Dirigeants.
« Un jour, je ferai la liste de tout ce que je dois à la beauté de l’art. De toutes les fois où elle m’a sauvé du désespoir. Il se pourrait que la liste soit longue. »
Lisa Balvoine
Eparse
Chacun se débrouille avec ses traces, ses rires, sa vie, ceux qui restent, ceux qui partent, les ex, les actuels, les enfants qui grandissent, les parents qui vieillissent, le temps, la solitude, celle qui surprend un jour alors qu'on ne s'y attend pas. Chacun se débrouille avec ses mots, les phrases qui s'emmêlent, ne se disent plus, les regards qui s'éloignent, reviennent, les rêves, l'espoir, les peurs qui se racontent, celles qui se taisent, celles qui se partagent, celles qui demeurent. Chacun croit, se moque de soi, ironise, essaie de se faire confiance, faire confiance, d'aimer un peu, beaucoup, passionnément, à la folie. Chacun avance dans son puzzle, alignant les pièces qui transforment ce visage, dessinant son contour, son regard.
Pulsations.
Aorte et ventricules. Gauche. Droit.
Veine cave supérieure...
Cicatrices et vie.
« Et de garder au fond de moi l'assurance qu'un jour les regrets peuvent devenir de doux souvenirs»
Isabelle Carré
Les rêveurs
Isabelle Carré nous emmène dans ses souvenirs, dans les pans de l’enfance qu’elle nous dévoile, nous offre, ces personnages complexes, désarticulés, décalés qui ont partagé sa vie, une mère absente, un père qui avoue son homosexualité, des murs-cicatrices-fenêtres que l’on rêve d’ouvrir, des 33 tours références d’une existence fragile et sensible, des frères fragiles, une danse qui devient scène théâtrale, une réalité transposée au cinéma, joue avec son image, des fragilités qui échappent et structurent, bâtissent, chavirent d’une simple brise légère, du jour au lendemain, sans signe avant-coureur détectable.
Un charme qui se dévoile dans la légèreté opaque d’un contre-jour, dans la poudre des yeux qui détectent cette part de lumière qui nous habille. Un conte, une tolérance, une belle aux bois dormant qui endosse un costume de scène, se dévoile, parfume avec tendresse, grâce.
« On devait trouver des moyens pour empêcher qu’un parfum s’épuise, demander un engagement au vendeur – certifiez moi d’abord qu’il sera sur les rayons pour cinquante ou soixante ans, sinon retirez-le tout de suite. Faites-le pour moi et pour tous ceux, qui grâce à un flacon acheté dans une parfumerie ou un grand magasin, retrouvent l’odeur de leur mère, l’odeur d’une maison, d’une époque bénie de leur vie, d’un premier amour ou, plus précieux encore, quasi inaccessible, l’odeur de leur enfance. »
Odile D’Oultremont
Les déraisons
L’écriture d’Odile D’Oultremont a cette puissance du ridicule qui ne tue pas, de l’absurde qui fait mouche, de la patte d’oie qui rend diablement belle. Laissez-vous glisser, séduire par cette tragédie comique, cette tendresse que l’on ressent pour chaque mot emballé dans un papier cadeau-bonbon, cette bizarrerie que l’on rêve de sublimer et de répartir dans chaque pore de sa peau. Il y a du génie en elle, un génie des temps anciens qui vivrait dans notre modernité égoiste sans chercher à devenir. Il y a du génie swinguant, rieur et désinvolte mais surtout il y a du génie terriblement attachant, terriblement tendre, attentionné, aimant.
« A l’état pur, la déraison maintient en équilibre sur un fil invisible. Mieux, elle devient une arme d’une puissance inouïe »
Adeline Baldacchino
Celui qui disait non
Adeline Baldacchino a écrit un récit, roman, ouvrage qui est à la fois terrible à lire par les images que l’on se crée, qui sont ce passé qui fait mal, qui rebondit de fenêtres brisées, en cœurs arrachés, et à la fois d’une poésie, d’une écriture qui envoute, se dore d’un romantisme absolu qui nous rappelle les grandes œuvres de Goethe ou de Rilke. Il y a une écriture à suivre, qui ne demande qu'à s'enflammer, à s'écrire et lire. On entre dans une vision apocalyptique, en enfer, tout en sentant la force et la beauté des mots, des sentiments, de cette résistance farouche et sauvage d’un homme qui aimait une femme, la sienne. Puissance poétique.
« Il vaut toujours la peine d’avoir aimé, même à la folie comme d’être insoumis, même à la folie, ce qui revient peut-être exactement au même. »
Laurine Roux
Une immense sensation de calme
Une écriture comme une fable, une légende que l'on nous raconte, le soir, assis auprès d'un feu, comme un réceptacle à ce besoin immense de s’unir dans « une immense sensation de calme », de se laisser séduire par les mots, le calme, d'oublier l'espace d'un instant notre cocon. Un monde loin de tout. Et une écriture magnétique, envoutante qui nous propulse auprès de ceux qui connaissent l'amour et la mort, le côtoiement infime et la lumière qui amène vers la paix en soi.
« Il y a des gens qui sont bâtis pour exister toujours, leur corps éblouissant érigé pour résister aux assauts du temps, de la maladie et de la mort. Des anatomies de soleil et d’éclat. »
Guillaume Para
Ta vie ou la mienne
« Ta vie ou la mienne » est un roman qui traite de ceux que la société renie, oublie. Il y a le chic des banlieues dorées où les cris se taisent et les sourires rutilent, où les possibles sont plus qu’une certitude, où devenir est certain avec le foot qui devient le passeport d’une vie, la jeune bourgeoisie qui encourage le labeur et les rêves. Et puis il y a les différences qui malgré tout, restent. L’impossibilité d’échapper à son destin, à ce visage de jeune de banlieue, à ces stéréotypes de caïd et malfrat. Une peinture sociale de notre époque hélas plus que présomptueuse et classée.
« La colère rend prisonnier, c'est la pire des cages. »
Gabrielle Tuloup
La nuit introuvable
La nuit introuvable est ce livre que l’on pose, découvre entre deux pans de notre mémoire cachée, un livre qui nous fait redresser la tête, apercevoir et voir ceux qui nous sont proches, nos aimants, nos parents, nos aïeuls. Un livre comme un talisman, un puissant viatique qui nous restitue chaque caresse, odeur, silence, geste. Comme un baume, il nous console, nous apaise de la peine, cette culpabilité qui nous assomme, nous brouille la vue, l’amour. L’émotion nous saisit, les sentiments demeurent, se regorgent et nous entraine dans ce vaste temps d’un amour apaisé, retrouvé, dans ce sas où les impossibles deviennent non pas possible mais sereins, calmes, doux, forces, vie, dans une nuit enfin retrouvée.
« Il y a des espaces de sa vie que l’on n’habite pas. Des espaces où on aurait dû apprendre à accueillir sûrement. »
Nathalie Yot
Le nord du monde
Une écriture brute, qui nous embarque sans nous laisser le temps de souffler, respirer. Comme dans la fuite vers ce Nord, on court après une vie qui se perd dans l’errance. On marche à la dérive. Sans boussole. Sans pause et arrêt. Des mots comme un enchainement glacial, dramatique, euphorisant de griseries et de libertés extrêmes. Une écriture comme un scalpel qui entaille les chairs, ouvre les plaies, gratte. Des phrases fortes comme des diamants bruts, purs, sans la moindre poussière ou résidu nous amenant vers l’absolu, la faute ultime, la folie des résistances, le glissement glacial, la perte des repères.
Du grand art. Du très grand art pour un premier roman. Une claque. Un diamant d’une extrême rareté. Et un nom à retenir, celui de Nathalie Yot, écrivaine à n’en pas douter, poète à découvrir absolument.
« L’amour quand il prend toute la place, c’est l’ennemi. On ne pense plus à être honnête. Ni avec soi-même, ni avec personne. »
Peire Ausssane
Deux stations avant Concorde
Et il y a « deux stations avant Concorde », deux stations où l’on accepte enfin d’entrevoir autre chose, de changer notre destin, de comprendre les remparts, les peurs et craintes que l’on se dresse, de tendre la main vers soi, de prendre pleinement conscience de cette compassion qu’on ignore. Deux stations comme un rendez vous avec soi, un instant où l’on tend la main vers autre chose que la souffrance, la douleur, qui nous étreint. Deux stations comme une lumière qui se diffuse, infuse et laisse percer ce qui est le plus beau et le plus fort de soi, ce qui nous anime, nous laisse entrevoir que sans cette lumière, sans ce soi, nous ne pourrions poursuivre notre voyage.
« Je suis la matière, l’asphalte de mes semelles qui luttent contre l’eau, l’air frais du matin que mes mains balaient en rythme, les larmes ou les sourires que je devine derrière le masque des gens que je croise. Je suis l’un des milliards d’atomes qui constituent le spectacle de la vie en même temps que ce spectacle se joue tout entier en moi. »
Julie Estève
Simple
Il y a un vrai souffle qui se dégage de ce deuxième roman de Julie Estève, un souffle comme le mistral qui emporte tout, nous laisse béat et muet, au bord de ces rivages caillouteux, arides, secs et pourtant si beaux, naturels, forts de leurs histoires et passés. Il y a la force des éléments, la minéralité du lieu et des mots, la poésie du chant du vent et des personnages qui entrent en action, la brutalité des rencontres et d’un monde qui rejette la faute sur les innocents qui ne peuvent se défendre, ceux qui n’ont comme arme, que leur cerveau fissuré, ébréché, ceux qui se promènent avec des cailloux, grimpent aux arbres pour embraser la vue, la vie, se prennent d’amour pour la première femme venue qui leurs accorde une oreille passagère, un regard ou un pas de côté.
« C’est pas parce qu’on est abîmé qu’on est plus bon à rien. »
Olivier Liron
Einstein, le sexe et moi
Olivier Liron fait de ce récit, une histoire pied de nez où l'humour vient déposer sa tendresse, où l'amour de la vie se fait plus fort, doux, lumineux, où les émotions se vivent intensément et font de cet homme, un homme à part entière, sa part à lui, son soi, son simple soi. Un homme autiste Asperger mais avant tout un homme.
La différence ne se voit que parce qu'on la désigne, la vit. A chacun de faire en sorte de n'être jamais dans un moule et de faire de sa vie, une fête tendre, la plus tendre possible et de rester insoumis contre ce qui nous révolte.
« Dès la naissance on ne le sait pas encore, mais il n'y a plus qu'attendre la mort en essayant d'être tendre avec soi, le plus tendre possible, et révolté contre tout le reste. Il suffit de le comprendre pour que la vie devienne une fête. »
Vincent Villeminot
Fais de moi la colère
Parler de « fais de moi la colère » est narrer ses émotions, exprimer ce qui ne s’exprime pas mais se ressent au plus profond de soi, secoue, fait ressurgir de multiples images et conflits, amours et douceurs, désirs et beautés sauvages quasi primaires. C’est indéniablement un roman qui se vit dans sa chair, ses entrailles, engloutit et relève, farfouille et donne à apercevoir la folie humaine, la quête des sens, de l’humanité.
Il nous happe, nous emporte loin des rivages, de nos rivages, vers des fosses inexplorées, là où la bête, la sauvagerie, sommeille en nous, en l’homme. Il est un Léviathan, un monstre marin dont on ne connait la tête, sa monstruosité et qui surgit des enfers, se révoltant contre l’homme et sa quête absolue de convoiter les biens, l’orgueil.
« Sommes-nous tous ainsi, habités par des monstres ? Sommes-nous encore des hommes et des femmes ? Sommes nous pires que cela ou simplement cela ? »
Delphine Roux – Qu Lang
[Konkoro]
Edition 2015 – réédition 2018
[Kokoro] est une pépite. Une de celle que l’on se surprend à relire, à retrouver avec toujours cette même beauté, ce raffinement, cette douceur suprême propre à la culture japonaise, à cet envoutement enveloppant, renouant avec la vie, l’instant d’un bonheur partagé, une enfance qui n’est plus mais qui permet d’avancer. Il est comme un fil conducteur, un fil de vie, une approche lumineuse et d’une douceur lovante, caressante, pénétrante. [Kokoro] est de ces lectures que l'on note pour ne pas oublier.
« Je savais qu'il faudrait du temps pour que les chocs de toutes ces années sourdes se muent en cicatrices douces au toucher. »
« Du courage alors. Oui j’en aurais. A ma petite façon. »
Guy Boley
Quand Dieu boxait en amateur
Dieu qu’il est beau, ce roman. Dieu qu’il est beau ce dernier fils de Dieu, ce Dieu aux gants de boxe et au cœur remplit d’humanité. Dieu qu’il est beau cet amateur du ring et du théâtre, cet être au pagne de papier maché qui vit et donne tout dans ce qu’il est, sa chair, son cœur, ses tripes, son amour, son armure de fragilité. Dieu qu’il est beau et vivant de l’entendre, le voir suer, devenir cet être qui le sanctifiera à jamais aux yeux de son fils, aux yeux de celui qui devient cet homme écrivain, cet homme d'encres. Dieu qu’il est fort comme un boxeur au cœur bien plus grand que tous les Dieux vivants et morts. Ce père, ce héros.
« Car c’était lui, mon père, qui fut tout à la fois mon premier homme, ma première parole, ma première étincelle et ma première aurore. »
68 premières fois
Le petit carré jaune