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Le blog du petit carré jaune
8 septembre 2013

Thomas B. REVERDY : Les évaporés

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" Tous les japonais ont un furusato, un "souvenir du pays natal", une image empreinte de nostalgie qui nourrit les chansons populaires. C'est un coin de nature, un pont, un très viel arbre, une cascade dans la forêt, un paysage de l'enfance, même pour l'immense majorité des gens qui a grandi en ville, ce n'est jamais un bâtiment, les bâtiments changent , ils sont remplacés par d'autres, mais ce peut être un détail, comme le bouquet de violettes qui poussait dans l'arbre creux de la cour ou la friche de roseau ou d'iris, à la pointe d'une île au bord de la rivière, tous les Japonais en ont un, même ceux qui n'ont jamais quitté leur pays, ce peut être une vue ou bien ce peut être une fête, pourvu qu'elle ait lieu tous les ans depuis suffisamment de siècles pour qu'on ait la certitude de la retrouver intacte, avec ses lanternes de papier et ses chars en bois, ses kimonos, dans la chaleur éternelle des nuits d'été de " la capitale ".

 

Alors je le dis tout de suite, ce roman va me rester en tête très très très longtemps. Encore un qui sera au rayon pépites et cicatrices à vie. Encore un, qui m'aura permise de me poser des questions sur notre place dans la société et notre quête sur la consommation absolue, notre quête de déshumanisation de l'être humain et de la capitalisation à tout prix au dépend des priorités simples et naturelles. Un vrai roman sur la quête d'un homme disparu dans les confins d'un pays où règne un mystère absolu, un évaporé, un johatsu. Un roman nécessaire sur nos mondes où règnent la corruption, le besoin d'être un ninja, un guerrier, un moine shogun. Avec Les Evaporés, Thomas B. REVERDY fait parler les fantômes, ceux qui justement vivent en marge de cette société, ultra capitalisée, ultra dépendante de biens non nécessaires, non vitaux.

 

L'histoire :

Un homme entre deux âges et plutôt proche de la retraite se fait licencier d'une grande entreprise japonaise sans motif réel. Pour comprendre les motifs de ce licenciement et pour protéger les siens, Kaze décide de s'évaporer volontairement dans ce Japon mystérieux de l'après tsunami, l'après Fukushima. Pour comprendre cette disparation, sa fille Yukiko et son ex ami Richard B, détective privé-poète-loser-amoureux fou de Yukiko, tous les deux installés aux Etats-Unis, enquêtent sur ce Japon que l'on connaît mal, mystérieux, sur ce Japon de l'après l'accident nucléaire, sur ce Japon qui fait face à une crise économique et sociale, sur ce Japon qui a laissé sur les routes des milliers de japonais, des miséreux, des fantômes de l'après Fukushima.

Pour subsister Kaze devient un travailleur de l'ombre, un travailleur fantôme, un travailleur de recyclage des produits industriels, de biens consommations chargés de radioactivités. Un travailleur plus que précaire, plus que mort, plus qu'évaporés. Un travail de laisser pour compte. Et pour le rechercher, Yukiko et Richard entre-ouvrent les cicatrices d'un pays, leurs fissures, leurs histoires personnelles.

 

Et c'est là que Thomas B. REVERDY nous questionne admirablement bien. Face à nos sociétés de consommation outrancière et à nos besoins effrénés de posséder plus que le nécessaire, il aborde la question de l'après accident, l'après nucléaire. Il nous montre un visage du Japon qui nous semble irréel, loin de tous les clichés que nous pouvons avoir. Un rêve onirique qui devient une réalité cauchemardesque. Une réalité gangrenée par la mafia locale. " Aujourd'hui, c'est l'assurance d'aller jusqu'à demain. Et demain, c'est peu mais une promesse suffisante. Les camionnettes se remplissaient. La misère est une énergie renouvelable." 

Mais surtout Thomas B. REVERDY nous parle de ces johatsu, ces évaporés. Au Japon, ils sont une réalité sociale et économique. Pour des raisons qui leurs sont propres, certaines personnes décident de disparaître, de partir sans laisser d'adresse. Et retrouver leurs traces, leurs empreintes est quasi impossible : " On ne parle pas de johatsu. Ça porte malheur." Et cette quête de disparition rejoint une quête d'un besoin propre. Une envie de s'évaporer, de partir, de fuir une réalité qui nous bouscule, nous terrorise, nous vampirise, nous questionne, nous angoisse, nous ennuie, nous embarrasse, nous fait honte, nous émeut, nous afflige, nous stupéfie, nous méprise, nous désole (magnifique chapitre sur la liste des raisons de disparaître - pages 119-122)... 

Et on ne peut s'empêcher de se poser la question de savoir ce que nous, nous sommes en train de vivre, d'être, ce que nous attendons, de ce que nous voulons. Se mettre en quête d'une nouvelle identité, d'un autre chemin, d'une recherche de non posséder plus que nécessaire, une autre possibilité. Se pose alors la question de s'évaporer, de disparaître, de revenir à des fondamentaux, à ces traces identitaires et de redonner un sens à sa vie. Les soupçons c'est une chose, c'est les probabilités, mais les images, la certitude, la vérité. Comment font les gens pour vivre avec la vérité ? Comme si on pouvait, comme si c'était une question d'endurance ou de force.

 

Les Evaporés est un roman plus que nécessaire à posséder, un roman plus que nécessaire à lire, un roman plus que nécessaire à nos questions de civilisation et de consommation outrancière. Thomas B REVERDY et les évaporés sont en lice pour le Goncourt 2013. Je ne sais pas si il sera le roman que l'Académie désignera pour ce prix littéraire mais pour moi il restera sur mon étagère à pépites. Celle qui mérite de questionner, celle qui mérite de mettre en lumière des étoiles, des lumières de vie.

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Commentaires
F
"La montée des eaux" m'avait beaucoup plu. Confiance pour celui-là !
L
Ton billet est magnifique et tu es la première à me donner envie de le lire et de le noter... Le sujet m'est tout à fait sensible. La société devient parfois un tel poids qu'il doit être parfois tentant de "s'effacer". Et je découvre tout juste ton blog que je rajoute à mes liens direct ;0)
S
Ton billet Jérôme montre bien aussi sa magnifique et envoûtante écriture. <br /> <br /> Et comme tu es toujours aussi gentleman : <br /> <br /> http://litterature-a-blog.blogspot.fr/2013/09/les-evapores-thomas-b-reverdy.html
J
Un très beau roman, c'est incontestable. L'écriture est envoûtante à souhait.
L
Un de mes préférés de cette rentrée ...
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