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Le blog du petit carré jaune
28 janvier 2014

"Partition singulière" - Christelle RAVEY

 

 

partition couv« L’enfance n’est qu’un envol de farine sur la toile cirée du goûter, à peine un souffle de vent dans les rideaux de mousseline , et ce soir, à la lisière des forêts que dessine la lune pleine, apparait une ombre tendre, un visage soudain plus proche, au sourire bienveillant. »

J’ai commencé ce roman un soir de fatigue, un soir de fin de semaine d’un mois de janvier humide…

Et pourtant il avait bien commencé ce mois. Il avait été chouette, ponctué d’imprévus, de magnifiques rencontres et petits riens, de belles balades ensoleillées, de polaroids écrits, photographiés et entendus. Un vrai bonheur de début de mois, de moi, où les lumières flirtaient avec le bonheur.

Et puis le temps est devenu long, les jours se sont assombris au gré d’une météo pluvieuse, brumeuse…

Bref un mois de janvier somme toute, le classique d’après fête.

 

besançonAlors en ce soir où la fatigue m’a submergée, j’ai fait une pause : j’ai allumé les bougies et fait brûler un encens, pris un bain, me suis accordée du temps pour moi, à moi. Je me suis emparée d'un roman qui était dans ma pile, pas le premier, pas le dernier, un roman rencontre. Un livre où je savais retrouver des odeurs oubliées, des sons sur une portée, une mélodie inachevée, des images couleurs sépias mais qui m’avaient portée. Un roman « souvenirs » rempli de visages, de jours où le soleil d’une ville m’avait apaisée, de rires, de sourires, de lumières d’un début d’automne couleur or : Besançon et ses mots Doubs, une magnifique pause dans une bulle de mots, d’amitiés (merci Lucie).

 

Et là, dès les premiers mots, j’ai su que le roman de Christelle RAVEY serait cette partition singulière, cette douce musique qui fait que d’un souvenir, d’un point de sa vie, on en fait un chemin, une ligne, une partition, une mélodie propre, quelque chose qui nous appartient. (Vite des post it, vite mon carnet... Noter, marquer, poser, se délecter, entendre, écouter, lire, relire, relier, s'engouffrer, se métamorphoser,  profiter...).

« Rêveuse, elle lève les yeux vers les frondaisons des marronniers. Le ciel clignote bleu entre les fleurs de meringue à cœur de sucre. Elle a rendez-vous avec Juliette qui souhaite pour la première fois lui présenter un petit ami. Une journée de plein soleil prend ses aises sur Paris. L’air se gonfle de chaleur sèche et, dans ces allées de terre et de graviers, le moindre moineau qui frôle le sol soulève un nuage de poussière jaune. »

Je me suis vue, installée sur une chaise longue dans les jardins du Luxembourg. Les mains et les pieds jouaient de la guitare et la mélodie s'inscrivait sur une portée, une "partition singulière", un livret musical, un doux et douloureux son sur une guitare qui avait en son temps été mélodieusement accordée à la vie d’Elise.

 

 

arc en cielElise et Phil formaient un couple merveilleux, le couple que rien ni personne ne pensait un jour voir se terminer. Un couple uni comme une gracieuse et douce composition, un couple se découvrant dans les rues de Marseille, s’enlaçant dans les montagnes cévenoles, marchant d’un même pas sur les pavés et les jardins parisiens. Un couple au contenu hautement inflammable mais un couple de chair et de corps.

« Il est si important d’ouvrir à l’être que l’on aime ses quêtes fondamentales sans se contenter de la complicité des week-ends au bord de la mer ou des parties de cinéma ».

 

Phil qui en, un jour de mois d’août, disparaît en laissant pour tout souvenir son alliance et sa guitare. Phil qui part sans laisser d'adresse, sans un mot ne laissant qu'un silence assourdissant dans la vie d'Elise et leur fille de 8 ans, Juliette.  «  Le calendrier a explosé et demain n’existera pas ». Et cette disparation soudaine va se révéler être l’absence d’une vie, la brisure d’une existence, le silence dans la gamme, la fin de la musique, la clé de sol brisée, la symphonie inachevée. 

« Rien cependant ne prédisposait ce mois d’août à fendre le temps comme on éclate une bûche à la hache. »

partition 3Donc en ce jour d’été, le rendez-vous à une terrasse de café entre Elise et Juliette est le point de départ d’une quête, d’une interrogation sur les chemins de vie, l’absence d’un père, les silences et les non-dits, les notes que l’on a en chacun de nous et sur laquelle on construit notre partition de vie, notre symphonie, notre musique. Cette rencontre c’est l’histoire d’une conséquence d’un choix fait il y a plus de vingt ans, un drame, une disparition qui s’accrochent tel un coquillage sur un rocher, des notes sur une portée, à l’existence. Une absence qui laisse un vide, un espace jamais comblé, une marque indélébile, une histoire d’amour inachevée pour une mère qui vit dans la douleur des souvenirs et sa fille qui ne peut admettre cette disparition. Partition singulière, une corde de guitare à jamais cassée, une fausse note dans la gamme.

« Pendant deux ans, trois ans peut-être ou même un peu plus, elle n’a pu être que cette seule douleur du deuil impossible. Comme si elle ne pouvait être que l’incarnation de cet arrachement et rien d’autre. Puis peu à peu, la douleur de la blessure est sortie  de l’intolérable brouillard qui lui donnait l’impression de n’être qu’une plaie à vif, lacérée, disloquée, éventrée. Elle a pu nommer, circonscrire, penser cet enfer au creux d’elle-même. Savoir qu’elle portait jusqu’à la fin la souffrance de cette absence, mais que la portant, elle pourrait vivre cependant, trouver de nouveau agréable les premiers rayons de soleil sur le cannage des chaises de café, profiter d’un concert sans maudire la musique, sourire à deux gamins qui chahutent dans la rue. »

 

 

chaisesUn roman sur l’absence, à l’écriture fine et recherchée, histoire d’un amour perdu sans explication, ce qui rend le deuil si difficile. Un roman magnifique doux, tendre, silencieux, beau, musical, des mots écrits ou dits, des regards, des recherches, des quêtes, des lumières, des parts d'ombre, une mélodie inoubliable, un cœur brisé, une enfance voilée, des paysages, des quais..., et où mes post-it n’ont pas arrêté de se poser. Magnifique d’une pudeur masquée, une poésie en sourdine sur une partition singulière de la vie.

Je suis ressortie de cette lecture sans savoir trop où j’étais et qui j’étais… ou du moins non le contraire. Je savais où j’étais qui j’étais… et vers quel chemin aller. Celui oui de la douceur, du souvenir sur lequel on s’appuie qui grandit en nous mais qui ne devient plus un obstacle. Un chemin où l’on croise un petit Prince qui nous indique une possible étoile, une possible couleur et que cette dernière fait partie d’une mélodie, qu’elle s’inscrit sur notre portée et que c’est à nous d'en continuer sa composition, son orchestration.

(Alors d’où que vous soyez, même au fin fond des Cévennes, de Besançon ou ailleurs, vous avez du les entendre mes boum boum boum boum....)
 

« Les petits princes du ciel qu’une morsure de rêve a tué n’ont pas tous une écharpe jaune, une salopette verte et des cheveux blonds, mais tous, ils ont emporté dans leur nuit, des mots d’enfant, des rêves d’homme, et des larmes de leur père ».

 

Merci Christelle Ravey pour cette belle et douce rencontre faite au détour d'un salon, à Arnaud Friedman qui m'a guidée vers vos pas et à Lucie et ses facéties qui a été le lien sacré. Merci à vous trois pour ce doux salon des Mots Doubs et pour cette belle maison d'édition qu'est Les Editions de la Boucle (2ème roman lu chez eux et toujours une aussi belle qualité...)

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