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Le blog du petit carré jaune
14 mars 2015

Le voyage d'Octavio - Miguel BONNEFOY

 

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«  Comme un ermite dans sa cabane, la barbe longue, les cheveux touchant les épaules, assis en tailleur, il rédigeait l’histoire à sa façon. Son corps était recouvert de marques, composées une à une, comme les lettres d’un même récit. L’écriture se manifestait à son cœur par le vernis et l’acide, la peinture et le bois, l’or et le plomb. Il décapait, raclait, façonnait l’espace, constituait une grammaire. Un arrosoir lui faisait les fleuves, un cadre doré les montagnes. Avec une lunette et une loupe, il écrivait la lumière ».

  

Bon sang. Bon sang comme ce livre est envoutant, magnifique, beau, simple et riche d’une grâce à la limite de la beauté primaire, de ce premier pas que fait un homme dans l’Humanité, dans une vie dépouillée de tout besoin, envie, dans le plus simple appareil que de rechercher la richesse même de la vie. Bon sang que ce roman est bon, tendre, délicat, funeste, terrible, épique, multiple, aventure-chevaleresque, nécessaire, estimable. Bon sang… ce voyage, cet homme, le Venezuela, Octavio.

Quelle douce et tendre merveille.

Un livre en or, celui qui devient noble par la beauté de son être, de ses gestes, de son destin, de son humilité, son regard, son écoute, sa capacité à devenir soi. Une vraie pépite, une délicate et vraie pierre naturelle, pas précieuse non (bien trop symbolique et synonyme de préciosité) une vraie pierre aux motifs rugueux, dépolie, boueuse mais qui rayonne pour qui sait la regarder réellement. Un vrai coup de cœur emprunt d’une douceur au goût de miel, la douceur de la confiture de lait si chère au Sud Américain.

J’ai vraiment été prise par la main, le cœur. Je suis rentrée dans cette lecture comme on entreprend un voyage inconnu, inexploré mais qui nous mènera vers nos propres sentiers, nos propres richesses, qui fera de nous un être d’or et de beauté primaire, simple. Sac à dos, dépouillée de tout besoin, j’ai marché dans les pas d’Octavio, ce géant vénézuélien au cœur d’or, aux gestes appliqués, tranquilles, sages.

 

Le voyage d’Octavio commence sur fond de légende au goût de citrons, de processions et de parfums d’encens. Un village hameau où la peste venue d’Europe par bateaux envahie les rues et les sentiers en laissant derrière des corps d’enfants, de femmes, d’hommes à même les routes et parvis d’églises. Une légende, un conte qui forge un pays, des hommes qui vont rebâtir des murs, des villages, des routes, des richesses et laisser pour compte les plus démunis qui s’entassent dans des bidonvilles aux portes et pentes des rues et montagnes.

Une légende qui va forger la vie d’un homme : Octavio. Un géant, un colosse qui ne sait ni lire, ni écrire. Analphabète comme on dit. Bête de ne pas connaitre l’alphabet, ces lettres qui s’entrelacent pour former des mots sur une ordonnance gravée sur une table. Une lacune qui amène Octavio à se blesser volontairement pour cacher sa honte, cette faute qui ne lui donnera jamais accès à la richesse, celle des villas de Caracas. En rencontrant Venezuela, femme aux cheveux et au regard de braise, le cœur de notre colosse s’enflamme. Sa vie devient comédie, scène théâtrale aux parfums épiques, vols et petits larcins d’une bande de brigands chevaleresque, digne de la Comédia Del Arte. Une bande qui apprend à Octavio à polir son regard sur les beautés, les reliques, à donner un cœur au vol commis. Une bande qui va commettre l’outrage de dévaliser le cœur de Venezuela et contraindre Octavio à l’exil. Un exil comme une naissance, un exil forcé qui devient vie, beauté, générosité, humilité, mystère, sensualité, initiation.

 

Grâce à l’écriture sensuelle et simple de Miguel Bonnefoy, j’ai traversé les bidonvilles de Caracas, rencontré les troupiers-brigands de reliques chrétiennes qui m’ont embarquée dans leur bande de trublions picaresques. J’ai appris à lire, écrire, à comprendre ces lettres qui s’entrelacent, forment un mot, une phrase, un paradis amoureux de lettres auprès du corps de Venezuela, femme à la beauté sensuelle. J’ai traversé les rues encrassées puis luxuriantes du village devenu ville immense et miséreuse, senti le vent chaud et la pluie envelopper mon corps. J’ai rencontré des êtres qui apprennent à aimer simplement pour celui ou celle qu’ils croisent, voient, regardent. J’ai traversé des rivières, rencontré l’avidité, les 7 pêchés capitaux, ceux qui mènent vers l’enfer terrestre et détruisent nos terres, nos cœurs. J’ai lu des légendes, entendu des contes, cru en la/ma foi, celle de mon cœur. J’ai découvert une richesse insoupçonnée, celle de la naissance de l’Humanité, de l’écriture au fond d’une grotte. J’ai compris que l’homme n’avait rien inventé, qu’il n’était juste là pour polir le monde, entendre la vie couler dans la veine du bois, panser les plaies des vestiges au lieu de les détruire, les vandaliser. J’ai compris que dans chaque cœur, l’or se reflétait, devenait symbole, saint porté comme on porte une relique, un pays que l’on aime, que l’on apprend à chérir. J’ai rencontré Octavio, géant vénézuélien, un homme bon, tendre, simple. Un ignorant qui n’ignore pas, un analphabète qui sait lire dans les yeux, les cœurs, les regards, le sien. Un ignorant qui sait ce qu’est l’or du cœur, l’or des mains, l’or de la vie, la valeur de nos richesses propres.

D’une écriture superbe, simple, dorée, déchirante, sensuelle, généreuse, Miguel Bonnefoy a écrit un premier roman à la plume en or. Une très belle lecture, une ode à nos beautés primaires, une poésie au saveur de miel, au goût el dulce del leche. Superbe. Emouvant. Terriblement bon et beau. Gabriel Garcia Marquez a un ami de la plume.

 

« Personne n’apprend à dire qu’il ne sait ni lire ni écrire. Cela ne s’apprend pas. Cela se tient dans une profondeur qui n’a pas de structure, pas de jour. C’est une religion qui n’exige pas d’aveu. »

 

 

Le Voyage d’Octavio
Miguel BONNEFOY
Payot-Rivage

Sélectionner pour le prix Orange 2015
Emission les Bonnes feuilles sur France Inter

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Commentaires
M
...mais c'est bien tentant en effet ;-)
M
La langue à l'air si riche et si belle que je me demande : est ce que ça tient sur la longueur
J
Un beau voyage pour moi aussi. J'aime ce personnage un peu animal avec une grande tendresse, un beau naturel.
L
J'ai ententu l'auteur l'autre jour dans Boomerang, et c'était fort tentant en effet !
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