Paultravailete

« Je voudrais te faire un cadeau Paul. Étends-toi sur le dos avec moi… C’est un cadeau que tu ne peux pas prendre dans tes mains et qui est très loin d’ici ! Mais il est très durable.
Regarde bien la Grande Ourse… Juste au dessus de la deuxième étoile à partir de la gauche, collée, collée dessus, il y a une mini étoile que personne ne remarque… Ben, c’est celle-là que je te donne, parce qu’elle est toujours visible mais que personne ne s’en occupe. Y‘aura juste nous deux qui la verrons, tu comprends ? Comme ça, quand je la verrai, je penserai à toi. Et toi, tu penseras à moi. On sera les seuls sur terre à la regarder. »

 

C’est dimanche, la fin d’une semaine ou le début d’une autre. Dimanche la veille du lundi, ce jour qui signifie reprise, retour au travail, à l’école. Retour vers une vie « active », « professionnelle ». Alors pour ne pas trop laisser venir les idées noires du dimanche soir, tu ouvres un « Paul » de Michel Rabagliati. Qu’importe son titre, tu ouvres une de ses bandes dessinées et tu te laisses dériver sur le lac Morin en compagnie de ta blonde, de ton chum. Tu prends ton canoë et tu chantes du Robert Charlebois, de vieilles chansons dignes des plus beaux feux de joie aux bois. Tu récites les mots de Félix Leclerc et tu te souviens (tu te retiens toutefois de chanter du Céline Dion, là tu casserais le bonus de cette soirée).

Tu te souviens de ce premier travail d’été qui t’avait mené de l’âge d’adolescent au regard mélancolique, emprunt d’une ambition face au monde et au visage boutonneux parsemé de quelques poils qui te poussaient sur le menton et te donnaient un air viril. Tu te souviens du lycée où tu t’étais fait virer à la suite de tes notes miséreuses. Maudit tabernacle de dirlo et de sa suppléante. Tu les aurais bien ourdis de tes petits biceps ces deux là. Tu te rappelles de ton tout premier job pour lequel tu avais tenu une semaine. Une semaine derrière une rotative. Une semaine et bye bye l’imprimerie lorsque ton pote t’avait téléphoné pour te proposer un camp de colo pour les enfants défavorisés perdu au milieu de la forêt, en pleine nature.

Et là …

Tu te souviens et tu te mets à courir, à rire, à avoir ton cœur qui se sert un peu plus en repensant à tous ces enfants, ces hommes et ces femmes croisés lors de cet été de colo au pied du Lac Morin. Tu te rappelles les heures passées sous les tentes à refaire le monde, les querelles entre enfants, les joies et les peines, les escalades sur le mont surnommé la paire de fesse, les règles du camp, les parties de rigolades, la petite Marie, les chants, les gros bras de tes potes et surtout surtout, tu te souviens de cette toute première fois. Tu te souviens de celle (celui) qui pour la première fois t’a montré qu’il existait une toute petite planète, une étoile située juste à côté de la grande ourse. Tu te souviens et ton cœur bat de ce souvenir, de cette première fois et tu souris.

 

Tu souris et tu te dis que la magie de Michel Rabagliati a encore fonctionné, que son coup de crayon simple est des plus magiques, des plus tendres. Que Paul est décidément toujours aussi bon, beau à lire, à savourer, qu’il est oui, bon, comme un sirop d’érable, sucré comme une caresse de début d’automne, comme un souvenir qui tient chaud.

Et d’un seul coup, tu te surprends à aimer ton dimanche, à regarder dans ton rétroviseur et te dire que cet été où tu as eu tes 18 ans était bon comme du pain bénit, bon comme une madeleine de Proust et que c’était rudement bien d’avoir eu un travail d’été au pied d’un lac, près d’un mont qui ressemblait à des fesses. C’était bien, c’était swing.

  

Paul a un travail d’été
Michel Rabagliati
La Pastèque