« L’écriture, quand je ne lui donne pas ma main, je lui réserve toutes mes pensées, comme ce paysan qui au fond de son lit pense à ses bêtes, aux soins qu’il faudra leur donner au matin. Qui m’a appris à écrire ? Sans doute la voûte bleutée des hortensias, le temps que mettait Dieu à venir et bien sûr ta nonchalance – cette brutale décision de ne jamais désespérer. »
Comment vous parler encore une fois du poète Bobin ? Comment vous donner encore une fois l’envie de ce silence, l’envie de ce besoin de faire face aux mots de Christian Bobin, de lire sa musicalité, son tempo lent et rempli de poésie, sa philosophie de vie, savoir que beaucoup de chose tient à peu, à rien, à beaucoup, qu’écouter l’autre, le regarder, l’entendre sont les uniques trésors que nous devons posséder.
Noireclaire… Noire et claire. Rien de plus grand, de plus grave que ce titre.
« J’ai vu un jeune boxeur jouer du piano. J’ai vu un œuf de caille dans l’herbe. J’ai vu un chat couvrir de brindilles la dépouille d’une souris. J’ai vu Mandelstam courir tout Moscou pour défendre cinq vieillards condamnés à mort. J’ai vu un assassin dont le cœur était un rubis. J'ai vu un pain trempé par la pluie appeler au secours. J’ai vu des liserons s’agripper à une barrière comme des prisonniers à leurs barreaux. J’ai vu un bébé offrir le trésor d’un gâteau écrasé dans sa main sale. J’ai vu la huppe maçonner son nid avec ses excréments blancs plus éblouissants que les paroles d’ermites. Je n’ai jamais lu de définition satisfaisante de l’amour. Je n’en lirai jamais. »
Noire.
Comme une signature laissée au bas d’une page, une signature, un visage, des mots, des rires, un sourire que nous ne reverrons plus. Une trace de vie, une trace de joie, le deuil de celui qui reste à faire quand l’autre part, manque par son absence, signe sa non-présence, cette part-manquante. « Ta main sur une page a souligné quelques mots au crayon. Aucune gomme pour effacer ce tremblement de terre. »
Claire.
La douceur de la parole dans la clarté d’un matin, un nuage cotonneux d’une blancheur absolue qui traverse l’espace d’un instant le ciel bleu-azur, une vague qui dépose l’écume sur la plage d’un soir doré, une pomme du jardin déposée sur la table et qui prend tout son symbole de vie quand on comprend que « la vie ne m’offrirait jamais une suite de problèmes insolubles. Avec cette pensée est entré dans mon cœur l’océan d’une paix profonde. »
Noireclaire
La constance bataille de la vie face au monde, la mélancolie qui s’abat en nous et qui nous révèle que nous sommes plus forts, plus beaux que le sombre le plus sombre. La joie, le sourire, le rire pour toute arme, une armée d’étoiles qui se lève dans nos yeux. Attendre sans attendre. Attendre comme respirer. Attendre comme vivre.
« Le manque est la lumière donnée à tous. »
Lire Bobin et gouter une fois de plus le bonheur intense de la vie, l’espoir du rideau noir tombé mais qui reste la confiance, la beauté, l’angélisme de croire que quoi qu’il se passe rien ne sera trop beau, rien ne pourra détruire le tableau d’un château de sable sur une plage de galets, une feuille dorée, morte, roulée par le vent. Etre poussière est poursuivre son chemin. Etre présent. Etre de nouveau devant la noire, la claire de la vie. Noireclaire. Le merveilleux.
« Il n’y a aucune différence entre les larmes et les rires ». Le tremble entre, le silence se fait, la vie vient, la lumière nous éclaire, le sourire se glisse sur les lèvres, la poésie rentre dans le cœur. Baume sur nos cicatrices, parfum suranné où l’âme se pose dans cet instant. Christian Bobin comme une nécessité au rappel de la beauté de la vie, au hors-temps du temps, au présent de notre présence.
Reprendre confiance, regarder l’amour qui construit le matin, clôture le soir et nous éclaire dans les journées. Vivre dans le noir et le clair. Ecrire les mots, les notes, tracer sur la page la pluie de l’encre du stylo incliné et regarder se dresser devant nos yeux les mots que nous lisons.
« Même après toutes ces années dans ton joli cimetière de campagne, ton visage revenant a le vif d’une rose de jardin. Aux modernes qui ne savent que compter, j’oppose la lente passion des nuages, les heures ardentes au chevet d’une phrase, et ton visage quand une crédulité le visitait. »
« C’est si beau ta façon de revenir du passé, d’enlever une brique au mur du temps et de montrer par l’ouverture un sourire léger. Le sourire est la seule preuve de notre passage sur terre »
« Je t’écris pour t’emmener plus loin que ta mort. »
Noireclaire
Christian Bobin
Gallimard