Rappelez-vous, déjà dans Tea Party, Nancy Peña nous amenait dans les faubourgs d’un Londres victorien plus vrai que nature. On s’aventurait dans les tripots malfamés et on recherchait, tel le St Graal, le nec plus ultra des breuvages anglais, celui qui parfume les house clubs et autres maisons de l’aristocratie anglaise.
Tel un combat de titans entre Lord Henri Mc Dale et Sir Clifford Barnes, Nancy Peña nous baladait de pages en pages, à la rencontre de son chat du Kimono et de Victor Neville, jeune cookery-counseller employé par la haute maison Mac Dale, un jeune homme un peu gauche, narcoleptique, romantique absolu, un brin naïf.
Dans sa quête de retrouver le thé plus raffiné qui permettrait de départager nos deux titans et de concourir par la même, au tire de meilleur conseiller culinaire de la Couronne d’Angleterre, Melville était accompagné d’Alice Barnes, jeune fille au charme envoutant et parée d’un kimono unique fait de fils de soie et de motifs de chats, le fameux chat du kimono. Un vêtement magique, détenteur d’un pouvoir onirique et envoutant, charmeur tel un serpent aux multiples visages, une hydre féline vestimentaire tout autant qu’humaine.
De nouveau on reprend les mêmes personnages et cette fois ci, on s’engage vers les hautes terres de l’Ecosse, pays de landes, de fantômes et où les mystères s’épaississent autour d’un whisky issus de terroir perdu, de lochs infestés de démons et de délicieux gâteaux aux goûts insoupçonnables et uniques : les black-shortbreads.
Sauf que ce coup-ci la recette de Moïra Rutherford, aïeule écossaise du Duc de Montrose est perdue au fond d’une tombe remplie de fantômes et de châteaux plus ou moins ouverts aux quatre vents froids et sinistres des landes écossaises.
1901. Suite à un nouveau pari lancé par Barnes et Mac Dale, Victor Neville est de nouveau envoyé pour retrouver cette fameuse recette douce et amère si particulière de feue Moïra. Sauf que ce coup ci, notre cookery-counseller se retrouve face à son pire ennemi, son frère ainé, Percy, celui qu’il a toujours admiré puis détesté.
Depuis l’enfance, l’image du père a toujours été une barrière entre eux. Pour l’un, il représentait l’icône de grand conseillé culinaire à suivre, l’exemple même, alors que pour l’autre, il n’était qu’un vulgaire petit valet appartenant à une grande maison écossaise, les Montrose justement. Aidé par la fille de Barnes, Alice (vous suivez ça va ?), Perry se montre infaillible, détestable dès les premiers moments de retrouvailles.
C’est que dans ce château du Duc de Montrose, le père des deux frères travaillait de cela il y a fort longtemps. Tellement longtemps qu’il en est mort… Mort de fatigue, d’épuisement ou meurtre ? Là est le mystère ! Une lutte fratricide sans temps "morts" aux pays des spectres et fantômes.
On assiste donc dès le début à une bataille familiale digne des plus grands clans écossais. On y livre les joutes verbales comme on lance les troncs d’arbres ou les boulets qui montrent la force et la dextérité des deux frères. On se bagarre sous les yeux au venin félin d’Alice qui tel un serpent, déverse sa langue de chat, son fiel, pour mieux envouter son ennemi et faire de ces black-shortbreads son trésor de guerre. On rentre dans les énigmes d’un château qui recèle des histoires qui n’ont jamais été révélées jusqu’à ce jour.
Nancy Peña nous invite donc à une double énigme dans cette bande dessinée, troisième opus de la trilogie du chat du kimono. Et avec tout autant de verve, de poésie, d’onirisme des terres brulées, des landes de pierres, des Gaels, des Mac Donalds et autres clans aux jupes à motifs à carreaux en tweed, les pas de chevaux, les monstres des lacs (Michel Sardou sort de mon corps), de clin d’œil à l époque victorienne.
L’Ecosse occupe une place de choix dans l’histoire. On y ressent la pluie, les vents, les fantômes qui peuplent les châteaux, les lochs. En insistant un peu, on ressortirait un bon vieux whisky pur malt, on se vêtirait d’un kilt, on filerait faire des entrechats et on s’affalerait dans un bon vieux fauteuil perdu au milieu d’une vaste bibliothèque en sifflotant « flower of Scottland ».
C’est extrêmement bien joué, conçu, une vraie partie de Cluedo qui nous mène aux cuisines, la bibliothèque, en passant par le salon, les serres ou encore le cimetière perdu sur les landes. On recherche le mobile du/des crimes, on soupçonne le valet, le duc. On empoigne le chandelier, le poignard… Bref une sacré enquête digne de tata Agatha. Elle-même aurait pu jouer à ce trivial concours de la meilleure enquête de black shortbreads.
On retrouve la patte de Nancy Peña et sa façon quasi-gravure d’exprimer les émotions, les ressentis de chaque personnage, les détails fascinants qui peuplent chaque case, les ombres et les lumières, les contrastes, les jeux de regards, les petits détails qui font mouche.
On entrouvre les portes d’une autre dimension. On oscille entre dessins et maitrise d’une plume trempée dans l’encre noire. On y croise l’art du japonisme, de l’orient, des estampes. Un graphisme fin et subtil à souhait. Et ce rouge… ces touches qui nous renvoient à nos pires cauchemars, ces transitions fantastiques, rêves prémonitoires, chamanisme écossais. On y croise un lapin digne d’Alice, un Sherlock point d’exclamation, une pointe d’Agatha Christie, un mystérieux lord...
Bref du haut Nancy Nancy Peña. Du grand très grand Nancy Peña. C’est subtil, prenant, rieur, poétique, envoutant, le parfait dosage entre l’onirisme et le conte policier, la balade écossaise et les brumes londoniennes, l’équilibre entre le fantastique et le réel.
A lire et relire : Le chat du kimono et Tea party. A découvrir chez Mo une superbe chronique et chez Marion, un billet tout aussi alléchant sur Tea Party. Sans oublier le blog de l’artiste et son chat Madame… (il va falloir que je vous en parle d’ailleurs)
It’s not a piece of cake
Nancy Peña
La boite à bulles