Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le blog du petit carré jaune
11 avril 2016

"Macaroni ! " Thomas Campi - Vincent Zabus

 

macaroni-couv-555x728

« Macaroni » était pour nous un quolibet familier, pas un drame, juste une taquinerie d’enfant que nous acceptions, en renvoyant, comme de prétendus brûlots, des « Patate frite ! » aussi routiniers qu’inoffensifs. » 

Tout commence par une préface de Salvatore Adamo, le chanteur italo-belge celui de « Tombe la neige », « Vous permettez monsieur », « Inch’ Allah », le tombeur des demoiselles des années soixante,s celui des « mains sur les hanches »  (j’en suis le parfait exemple, élevée au chant d’Adamo – promue grade de bronze). Donc tout commence par une introduction du plus grand chanteur belge né en Italie. Une intro touchante de vérité et de sincérité, douce et juste ce qu’il faut d’intime pour nous donner envie irrémédiable de découvrir les acteurs de cette bande dessinée. 

« Macaroni ! ».  

Tout est dans le titre, dans cette couverture au couleur brique et jaune qui rappelle le Nord, la Lorraine, le Benelux, les corons, l’enfance, l’Italie du Sud, l’émigration des années 50/60. Une immigration forcée par l’extrême pauvreté que subissait ce pays suite à l’après guerre, du passage de Mussolini dans les campagnes siciliennes et napolitaines, la montée en puissance du nord, de ses riches industries et nobles terres toscanes.

Une couverture qui évoque la nostalgie, la détresse face à ce mot « Macaroni ! », l’enfance reléguée, solitaire, l’incompréhension face à un vieillard assis sur une chaise en osier et qui laisse divaguer son regard sur l’ombre noire vaporeuse d’une femme tenant un enfant dans ses bras.

Une couverture qui nous invite à nous pencher sur l’histoire de ces Macaronis, ces italiens « envahissant » le nord de l’Europe afin de trouver du travail et d’y faire venir ensuite femme et enfants.  

Dès la première planche, on devine toute la tendresse de ces « plats » paysages : l’usine de sidérurgie, les hauts fourneaux et ses passerelles de fer, les longues cheminées ne  crachant plus de fumées noires, les terrils, les monts de terre-poussières de charbon, les gueules noires, les bleus de travails et de feu, les corons dessinés aux pieds des tunnels de zinc, posés sur les gouffres des mines. On entre de plein-pieds dans ce pays aux couleurs grises et aux rues identiques les unes des autres.

 

macaroni_by_thomascampi

 

Un jardin, des tomates rouges, mûres, une bouteille à oxygène posée sur son socle, un vieillard derrière son rideau à l’étage d’une maison briquette rouge, un vieux papier peint motif à fleurs, une lampe posée sur un guéridon-table de nuit, refermant dans son tiroir des lettres.
D’office, on sent que l’on rentre dans l’intimité d’une maison, d’un cœur qui vit avec ses fantômes. On touche le palpable, le vrai, les cicatrices.

Dès les premières cases, c’est le calvaire qui se dessine : ces maisons aux briques rouges, ces portes identiques les unes des autres, ces rideaux désuets aux fenêtres, les grommellements d’un vieillard, son regard soupçonneux face aux voisins qui pourraient colporter on ne sait quels mensonges ou vérités.
Roméo, jeune ado au look jean chemise ouverte t-shirt basket, part passer quelques jours, une semaine, chez son grand père, un vieux bougon qui pue, râle contre la jeunesse qui ne comprend rien et qui plus est  ne connait rien. Il arrive chez cet aïeul quasi inconnu et se retrouve illico presto dans une chambre qui sent le vieux, le matelas au sommier-ressorts usagés, des commodes aux parfums d’antan, la poussière et les grosses fleurs rouges sur une tapisserie usagée.
Et on devine que la rencontre va être explosive, un coup de grisou, une mine de minerais qui ne demande qu’à être à ciel ouvert. Une rencontre entre le feu et l’air, l’ancien et le jeune, le vieux  chiant et le stupidino. 

Grâce à la complicité d’une jolie petite voisine, on entre de plein pied dans l’histoire de ces gueules noires issues de l’immigration italienne. On entre dans la vérité, celle qu’on ne dit pas, celle qui est sensible, dure, enfouie sous de multiples couches de cicatrices noir-charbon.
On devine la souffrance physique, le cœur fatigué, la mémoire qui flanche, la nostalgie d’ne Italie perdue, la dureté de la vie de mineurs, la salle des pendus, les ascenseurs qui menaient au fond des mines… Toutes ces histoires jamais racontées et qui vont voir le jour à l’arrivée de Roméo. Toutes ces histoires qui n’ont jamais été dites car raconter c’est déjà se montrer pauvre et quand la misère est là, on n’a pas besoin d’en rajouter encore une louche.
Alors on se tait, on devient ces taiseux aux gueules noircies, aux yeux bleus charbonneux. Ces vieux bougons qui portent le poids de leurs histoires, leur gouffre dans leur cœur et souvenirs, comme des fantômes, ceux morts au fond du trou, ceux hantant leurs souvenirs.

 

title-1459714934

 

Une très belle bande dessinée issus des petites histoires qui constituent un pays, celles que l’on a tendance à oublier et qui pourtant font partie intégrante de L’Histoire d’un territoire, la force ouvrière de l’après guerre, crise économique, des trente-glorieuses. Le monde selon le visage de l’immigration. Et c’est en cela que réside sa force.  

Une narration lente, des touches aquarelles jaunes, vertes, poussières de gris, rouges, les briques et ces odeurs d’Italie du Sud rejaillissant à chaque page.
Ici on lit avec les mains, on parle haut, on garde la chemise ouvert sous le marcel usagé. On entretient le culte du Papet, du Nono, de l’ancêtre taiseux et bougon. On ne dit rien mais le silence n’est pas non plus de bon aloi. C’est tendre, bon, doré comme un chianti. C’est brulant d’affection comme un plat de cochon au doux nom de Mussolini (parce que Musso c’était quand même un sacré porc). C’est grand comme une cabane dressé au fond du jardin, une serre où se cachent les graines, les trains d’une histoire.

Une bande dessinée qu’il faut découvrir tout doucement, comme se délie les fils mêlées d’une histoire familiale. Les Macaronis sont ce fil rouge et jaune qui se dresse encore aujourd’hui devant nos yeux,  un fil rouge et jaune aux couleurs des corons et des patates frites.

Une vraie bande dessinée nostalgique et délicate. C’est doux, c’est bon, ça ressemble à ma Lorraine, celle de mon enfance, mes rues de corons, les courses de vélo sur les terrils, les escapades en luges, les hivers froids et rigoureux et l’amour des cœurs chauds qui ne se découvrent que pour mieux vous couvrir.

  

Macaroni
Thomas Campi – Vincent Zabus
Dupuis 

Publicité
Publicité
Commentaires
M
Les dessins sont superbes et le pays ainsi représenté pas si gris finalement (le dessin de la rue, par exemple, si terriblement familier). Je connais l'histoire de cette immigration italienne par des histoires familiales, des anecdotes d'école avec des jeunes enfants d'origine italienne, dont un célèbre politicien belge... Je crois que je sais à qui offrir cette BD du coup, merci pour le conseil.
C
Une bd qui me tente beaucoup, poignante et avec un beau dessin ! Cela a l'air assez coloré, méditerranéen finalement. Cela m'a fait penser non pas à la Lorraine, mais à l'Alsace, région dans laquelle la famille de mon père s'est réfugiée après la guerre, et vivait en baraque. Je tâcherais de l'offrir à mon père, d'autant plus qu'il aime bien Adamo ! Merci pour ton beau partage.
Publicité
Newsletter
Archives
Publicité