« Voici l’extase, j’ai enfin réussi quelque chose, un déterminant, une exception à la vulgate et aux communs, je suis de ces bergères surplombant la lande, montées sur pilotis, survolant, légères, tristes aplats, tristes fougères. Intra-muros, je connais gloire et sorties de route non identifiées, explosions à jamais intimes et nourricières ; folle parmi les fous, branque parmi les branques. Je m’invite à serrer plus tendrement encore frissons et pâmoisons sous mon sein, à lever des yeux clos de lumière sur la grisaille et les efforts à rester dans le rang, à n’être que durant et non bien au-delà et il me tarde, teintée de moût, de pluie, que dans le sable où nous mourrons l’on gave mon allégeance à la vanité de naître, Branque un jour, branque toujours. »
Bon je vous le dis tout de suite. Je suis incapable de vous résumer ce roman. C’est juste un grand coup de massue, une claque, une folie de mots, un truc incroyable. Une folie.
« J’ai perdu mon fil. Je me suis oubliée, perdue de vue. J’écris trois lignes et je suis épuisée. Je ne tiens pas l’effort. Je crois que j’ai surtout envie de parler à un ami. J’ai apporté trop de papier, trop d’encre. Comme si j’allais pondre un pavé. Comme si ce projet était raisonnable. Comme si tout cela avait un sens. J’aimerai tellement avoir confiance.
Ecrire sur la solitude c’est comme laisser la lumière allumée dans la pièce d’à côté. »
Branques : éclopés de la vie, cicatrices béantes de l’âme, précipices des cœurs suicidaires, fous à lier, cinglés du ciboulot, anormal… Tant de définitions pour énoncer le mot de folie, les cacher aux yeux du monde, des autres, ces humains soit disant bien enracinés sur ses deux jambes.
Branques : fous et folles de vie, amputés de libertés, internés dans des hôpitaux psychiatriques en raison d’actes délictueux, suicidaires, déraisonnés, d’un basculement dans l’irréalité, d’une rage de mordre la vie à pleine dent, sans cautériser, folie
Branques… : trembler de vie, trembler de désir, du désir de vivre.
« Il faudrait que je sorte, que j’erre un peu à la rencontre de cette foule qui me terrifie en tant que telle, j’ai peur de me faire happer par le cycle du quotidien, peur de revenir à un cercle de relations insipides, ces gens jaloux, mesquins, qui ne comprendront jamais ce dont je parle. A quelques exceptions prés. Tout arrive mais je n’y crois plus, je suis déçu de la condition humaine.
L’un d’entre eux me dit « un homme vaut plus que tous les oiseaux du monde » mais même une poule m’est plus intelligente que la plupart de mes congénères.
Que feras-tu d’un tel galimatias et de rêves perdus, tu te complais me diras-tu si tu pouvais me parler mais, mais, mais. »
Ce roman est dingue. Dingue de folie oui. Mais surtout dingue d’une rage de vivre et de soif de désirs, de libertés. De cette liberté que l’on croise dans les couloirs des internés de vie, des fous à lier. Il est une rage à disséquer la chair, les organes qui font que nous sommes vivants.
On crève dans les mots lus, on se blesse dans les phrases déchiquetées, on se cautérise comme on peut, rallume nos flammes et erre dans ces chambres calfeutrées. On bouffe des cachetons qui nous font délirer, grossir, être désœuvré. On devient aliéné, fou, branque.
Branques avec un s car en lisant ce roman on se demande réellement qui sont les fous, qui est fou ? Eux ou Nous ? Nous ou Eux ?
« La vie psychiatrique est une succession de faits minuscules dont les proportions ressenties dépassent la moindre évocation. Les regards paisibles y ont le plus de valeur. Chaleur. Cette femme vous aidera à revenir au réel qu’elle espère elle-même récupérer un jour comme un objet précieux, et vous vous surprendrez à prendre soin d’elle vous aussi, vous verrez. »
Un roman écrit comme une chronique. Un roman pour ne pas tomber et tenter de continuer à se brûler de désir, à vouloir vivre malgré la vie qui s’échappe, emprunte les voies des démons internes, qui crie de rage, de vouloir, de déflorer ce qui nous glace le sang.
Un roman qui ne laissent rien en suspens, qui creuse les moindres plis de ce qu’on l’on refuse de lire, de croire, de voir.
Un roman où on se fait mal, mal de ne pas vouloir vivre follement, déraisonnablement, mais qui est diablement attachant, qui nous perce les entrailles, le cœur, les boyaux.
Un roman qui nous fait mordre à pleines dents la vie, cette putain de réalité qui nous esquinte, nous abime et nous pousse à la passion, à ne pas rester dans notre coin, être timorée et se brûler d’attente.
« Rêver n’est jamais anodin pour les gens qui tournoient en eux-mêmes comme un soleil indéfini. »
Un roman hallucinant, halluciné, hallucinatoire, bourré de psychotropes, de cachetons, de tranquillisants qui nous envoie valser dans les rings des hôpitaux. Un roman qui ne s’embarrasse pas de camisoles pour nous épargner. Un roman comme une plaie ouverte. Un roman journal de bord qui fait qu’on existe.
Droit, direct, vrai. Pour ne pas mourir, vivre sans désir, sans crier le besoin d’aimer, d’exister et de comprendre le pourquoi, le comment on en est arrivé à devenir branque parmi les branques.
« A qui parles-tu quand tu es seul ? […]
Je parle à un double absent,
qui est multiple,
et qui me manque ? »
Ce roman va vous faire mal mais lisez le… Il est un véritable plaidoyer à vivre follement, à se brûler de vie, à foutre ses tripes à l’air, à être branque. Des claques, un uppercut, Une gifle, un truc de dingue qui secoue, vrille, esquinte, nous fout sur le cul, nous pousse dans nos recoins. Putain de bouquin. On saigne et secoue nos désirs.
A lire au même titre que Les Inconfiants de Tatania Arfel et Julien Cordier. Branques d’Alexandra Fritz est sélectionné dans le cadre de l'opération menée par L'insatiable Charlotte et des 68 premières fois, édition 2016.
Branques
Alexandra Fritz
Grasset
Collection le Courage