"L'art de revenir à la vie" Martin Page
« Il me semble que j’ai passé ma vie à faire quelque chose de mes échecs. A ne pas me laisser faire. A tel point que lorsque viennent de bonnes nouvelles, je ne sais pas comment réagir, je n’ai pas de mode d’emploi pour habiter le bonheur imprévu. Je reste sceptique et interdit. Mon ambition c’est ça : apprendre à vivre la félicité qui ne trouve pas son origine dans le malheur, qui dépend non pas de moi mais de ce que l’on me donne. Je dis apprendre à recevoir. Même si accepter de recevoir c’est se mettre en situation de fragilité : cela crée de l’espérance, la déception est possible. »
Ce que j’aime chez Martin Page c’est son approche intime de l’écriture et de la vie, ce portrait qu’il dresse et qui le/nous touche, lui ce parfait équilibriste sur son fil. Car il faut le dire, le lire pour comprendre que Martin Page est un très grand funambule, un très grand artiste qui tisse les mots, les mélange, les emmêle, leurs intime de retrouver un ordre, une ligne pour finalement en faire une corde prête à rompre mais qui, pourtant, ne se pliera à aucune soumission, gardera sa droiture, son cap, son espoir, sa ligne de vie. Un héros en somme. Pas un super-héros, mais un héros de la vie quotidienne.
Lire Martin Page c’est se réveiller, se révéler, retrouver son repère, ce que nous sommes, ce qui nous relie à nous même. Et c’est cela que j’aime chez lui, cette tendresse réelle à retrouver ce qui nous ramène à notre passé, notre aujourd’hui ou notre futur, ce rapport affectif qui nous réveille, remet nos rêves d’enfants sur le devant de la scène, nos souffles sains, simples, loin de toute envie de brillance ou de tensions guerrières. Il puise dans notre imagination d’enfance pour en fabriquer des « armes » larmes, riantes, espiègles, belles, saines, imaginatives et surtout généreuses, tendres et sincères.
« Celui que l’on était dans le passé n’est pas là pour nous plaindre ou nous rassurer, il est là pour nous secouer. Pour nous engueuler. C’est sa fonction comme c’est la fonction de tous les fantômes. »
Avec lui on entre de plain-pied dans les névroses les plus actuelles, les plus saines aussi. On attaque les sommets des doutes, peurs, chutes. On traverse les tunnels du passé qui nous explosent à la figure, nous remet le nez bien droit et les points sur les I, sans oublier la barre aux T. On s’enferme dans des sarcophages-chambres noires, révélateur de celui, celle que nous sommes. Aucun glamour, aucune envie de faire du beau pour rendre le livre, le roman encore plus séduisant. Non. Tout est vrai et c’est peut-être cela le plus beau. Cette tendresse de voir cet homme qui revient à chaque fois à la vie et qui par la douceur, la véracité de ces mots, sa fragile corde d’équilibriste nous insuffler l’espérance, le droit de vivre selon ce que nous sommes, voulons, essayons, nous qui ne sommes pas des super-héros mais juste des héros du quotidien. Et c’est cela qui est bon. D’être héros, nous, juste nous et encore nous, dans notre quotidien. Etre heureux en somme, comme on peut, mais y être.
« Je veux que tu n’oublies pas ça. Tu dois être un héros. Pas un héros idiot, hein, je ne te demande pas de foncer dans les conflits. Je te demande d’être un héros de la vie quotidienne, un héros des petites choses et surtout un héros dans tes sentiments. […] Et tu dois permettre que des gens rejoignent ton camp. Sois accueillant envers ceux qui veulent changer. […] Pour […] constituer une armée sécrète et joyeuse ».
L’art de revenir à la vie » reprend tous ces thèmes : ses retrouvailles avec son moi, adolescent perturbé, froissé déjà par la vie et le vide, mais frondeur, direct, fonceur tout en sachant déjà que les écorchures feront parties de son quotidien.
Dans ce roman, loufoque et incroyablement drôle, on retrouve Martin Page à l’âge de 41 ans se confrontant à Martin Page, 12 ans et à une productrice de films, désabusée, mante religieuse reine d’une ruche désorganisée. Vu comme ça, c’est désarçonnant, incompréhensible et pourtant il n’y a rien de plus humain, de plus tendre et beau que ce roman où toute expérience douloureuse devient un vrai parcours de bonheur, de survie déstabilisante mais bénéfique. Tout est remise en question, tout est remis en question : nos idéaux, croyances, besoin, envie, rêves, cauchemars. Tout est interrogatif mais révéler si tendrement que l’on puise dans les mots écrits des envies de bonheurs simples, sains et vrais.
On y retrouve l’auteur, ce moi, dans un Paris déshumanisé, loin des clichés du bonheur urbain de la ville de lumières. On y lit le stress, les humeurs et les caractères pestilentielles, les névroses les plus folles, hautaines, les plus indélicates et tentaculaires. On y lit les blessures laissées et qui deviennent si on les regarde bien, des cicatrices, lignes de vie, celles qui parlent de nous sans nous agresser. On lit l’agression quotidienne et qui pourtant nous fait grandir, nous pousse à toujours vouloir aimer vivre. Encore plus. Avec tendresse et poésie.
C’est profondément jouissif, drôle et d’une belle douceur à nos pires remises en questions, nos doutes, nos peurs, nos frilosités. C’est un bonheur à l’art de vivre sensible, d’avoir le droit d’être fragile, de le clamer et d’apprendre de nos existences l’art de se défendre par l’imagination, la créativité, la profonde tendresse. C’est dresser un miroir, se regarder dans une glace et oser s’aimer, aimer ses fragilités, ses peurs, doutes, frilosités.
Martin Page est un conteur. Il raconte nos errances, nos pertes de repères, ce que l’on recherche au plus profond de soi, notre quête d’identité. C’est tendre, loufoque, sincère, véritablement rayés des pieds à la tête et imaginatif à souhait. C’est un poil désabusé et cela fait un bien fou de lire cela. Une vraie réplique à nos idées les plus pessimistes, nos idéaux désabusés et nos peurs d’affronter un monde qui ne nous correspond pas. C’est le droit de s’accorder le bonheur d’exister tel que nous sommes, fragiles funambules sur le fil rieur de la vie.
(Et là je suis certaine que vous n’avez rien compris à ce billet et que vous vous demandez toujours « mais ce roman, il parle de quoi ?»… Lisez-le et vous comprendrez que l’on ne peut résumer Martin Page. On ne peut que l’aimer avec cette tendresse immense de celles et ceux qui se débrouillent comme ils peuvent dans un monde qui ne leur est pas toujours destiné.)
« Don’t let the fuckers get ya. They can either help you, but they can’t stop you ».
« On se trompe à chercher des rapports honnêtes dans les relations humaines autres qu’amicales et amoureuses. Non. La règle, c’est subterfuge et mensonges. Bien-sûr s’y mêlent des sentiments sincères. On est dans le gris tout le temps. Il ne faut pas refuser ce gris, car le rejeter signifie ne pas se confronter à des expériences qui, malgré tout, seront source de création. »
« Je comprends aujourd’hui que la meilleure réponse à beaucoup de comportements est « tant pis pour elle » ou « tant pis pour lui ». Cette sagesse simple est juste. Ça permet de ne pas s’appesantir et de passer à autre chose. Laissons les gens vivre avec leurs mythes »
« La vie finit toujours par trouver son chemin. »