« Marguerite n’aime pas ses fesses » ! Tiens donc… Pauvre Margot comme aurait souligné, de son ton caustique et narquois, Brassens en dégrafant son corsage. Soit ! C’est vrai qu’elles sont plates, que son cul n’est pas rebondi (ou du moins pas suffisamment aux yeux de ses copines et des siens), relevé, attirant, qu’elle n’a rien pour le mettre en valeur, pas de string ou de petite culotte en dentelle... (Marguerite, c’est le coton qu’elle aime, la tendresse, le confort, la relation durable et sincère.) Bref « Marguerite n’aime pas ses propres fesses ». C’est clair.
Mais si il n’y avait que son derrière que Marguerite n’aimait pas cela serait simple, décomplexant. Mais non ! Marguerite ne s’aime pas beaucoup.
Il faut dire qu’entre son mec prénommé Jonas, qui franchement n’en « branle » pas une (ou du moins pas ce que Marguerite croit), un poil pervers lubrique, et une mère fantasque, ancienne héroïne de film semi-porno qui se fait appeler Billie alors qu’elle se nomme Annabelle (mais ça fait trop vieux Annabelle, ça fait mère rangée d’une autre époque – rappelons juste que Billie a 65 ans, l’âge juvénile, période adolescence de la catégorie senior plus), notre Marguerite n’a vraiment pas de quoi pouvoir vraiment s’aimer, être vraiment elle. Un héritage paternel l’aurait aidée à se transformer, à s’émanciper de ces êtres qui la rudoient dans son quotidien. Il lui aurait permis de devenir peut être un peu plus elle, de s’affirmer, d’apprendre à connaître et comprendre le regard des hommes sur les femmes, sur elle. De se sentir moins cruche surtout.
Alors quand on propose à Marguerite (petite scribouillarde free-lance dans une maison d’éditions menée de main de fer par une femme au caractère bien trempé surnommée la Hyène) d’aider Aymeric Delaroche De Montjoie, (DDM, ex-président d’une république désabusée mi soixante-huitard, giscardien, un poil mitttérandien ayant bifurqué Chiraquien voire des approches centristes au temps d’un Barre accoquiné Veil, au physique de barbouze type Santini DSK) Marguerite ne se sent plus de joie, elle ouvre un large pan de soi (ou soie) et accepte de relever le défi (mais pas que….).
Et c’est là que l’histoire va prendre tout son sens, toute sa dimension sous la plume caustique, tendre et loufoque d’un Erwan Larher magnifique et somptueux.
Car si « Marguerite n’aime pas ses fesses » aborde le sujet politique, la déchéance des idéaux, les grands puissants et leurs grands pensées, le sexe décomplexé, ce roman est avant tout une histoire sur la maladie qui ronge notre siècle, notre contemporanéité : le nombriliste aigüe des classes dirigeantes et la profonde apathie d’un monde qui n’adore que trop les paillettes et les éclats pulsions sexuelles.
Et sous la plume d’Erwan croyez moins, ça dézingue sec.
En fait « Marguerite n’aime pas ses fesses » est un roman qui regroupe les méandres de notre société, ce qu’il y a de plus abjecte : les regards vides, les relations sociales qui s’étiolent, les besoins d’exprimer ses émotions sentiments à la face du monde, le manque de pudeur, les pulsions sexuelles affichées grandeur XXL sur nos écrans d’ordinateurs en une portée de clic de souris et de webcam bien ajustée. C’est un regard sur la crise des politiques, les milieux des barbouzes de la haute, du pouvoir pour le pouvoir toujours plus de pouvoir et comment le fructifier (voire le lubrifier).
Et c’est bon, très très bon. Chez lui point de scandale mais du sérieux, du maintient, du rigolard caustique réalité. On reconnaît les copines qui savent si bien refaire le monde et surtout parler de cul sans en rougir, la poitrine exhibée et la croupe relevée, la mère senior de la génération des botoxées et des plans foutraques, le président « un poil » (et c’est peu, vieux cochon va) lubrique d’une génération politique qui ne reconnaît plus les monstres qu’ils ont engendré, le petit ami pervers sexuel libidineux baveux qui ne voit pas sa Marguerite devenir fine fleur, ouvrir ses pétales , se sentir désirée et libre de s’aimer. Et les seconds, les troisièmes, l’ensemble des personnages apportent son grain de malice, d’univers à Marguerite, l’aide à s’épanouir et à entrevoir le monde d’aujourd’hui.
C’est bon. Si bon qu’on en devient addict, qu’on en veut encore. Si bon que la fin lue, on soupire de bien être, d’une jouissance textuelle et grammaticale forte, d’une narration relevée, juste ce qu’il faut pour nous mettre la pression, monter d’un cran notre envie de tourner les pages, de saliver sur le chapitre suivant, d’en vouloir encore et encore. C’est jouissif, jubilatoire, grandiose mais sans jamais tomber dans la vulgarité, dans un plaidoyer de « tous pourris moi je ».
C’est du Erwan Larher comme j’aime, un chien fou lancé au milieu d’un jeu de quilles, qui n’en dégomme pas une, mais douze, histoire de mieux dribbler le ballon-balle. Il joue avec les mots, bouscule nos cadres, égosille nos oreilles d’une Marseillaise reprise à plein-poumons version je retrouve mes potes « eh les gars vous savez quoi, je vous aime ». (ça c’est pour un clin d’œil castelroussin qui restera gravé dans les mémoires de certaines blogueuses présentes à l’Envolée des livres 2016).
Oui c’est du grand, très grand Erwan comme je l’aime, jamais cynique mais caustique et gratte-peau et contre-pieds à volonté. Cela dégomme à tous vents, à toutes berzingues mais qu’est ce c’est bon. C’est vraiment bon et cela fait vraiment du bien de lire ce roman qui n’est que la triste réalité d’un monde nombriliste désabusé.
« Aux armes citoyens
Formez vos bataillons… »
Et lisez « Marguerite n’aime pas ses fesses ». Partez la détroussez chez votre libraire et préparer vous à avoir la fleur au fusil et le sourire plus d’une fois mis en bouche. Merci Erwan, ça fait un bien fou de te retrouver et à bientôt au logis du musicien.
Et pour ce passage qui regroupe à lui seul, le regard de notre société :
« Elle est aussi seule en littérature qu’en amitié. Elle referme le roman – qui va dérouiller sévère sur son blog si elle trouve l’énergie d’écrire – et se connecte sur Facebook. On dirait qu’il leur arrive à tous des trucs formidables : ils ont plein d’amis, des commentaires sous leurs photos, on partage leurs statuts. Elle a le sentiment fugace de vivre pour de faux. »
A retrouver : l’abandon du mâle en milieu hostile, Entre toutes les femmes, Autogénèse, Qu’avez vous fait de moi ?