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«  Chevalier aimait manger, et se faire à manger aussi, et faire à manger pour les autres, cultiver tout ce qui pourrait s’avaler un jour ou l’autre, de quoi manger, de quoi foire. Il n’aimait pas trop parler de la nourriture, cette affaire-là était dans sa nature, et sa nature était plutôt taciturne. Il se taisait à table vu qu’on ne parle pas en mangeant, et se taisait aussi en préparant les plats, vu qu’il cuisinait seul et qu’on n’avait pas à tourner dans ses pattes dans ses moments-là. Il se taisait aussi dans son jardin, mais personne n’aurait eu l’idée d’aller le voir là-bas, manquerait plus que ça que quelqu’un lui casse les pieds pendant qu’il binait. »    
                                 

Il est des régions de France où rien ne semble bouger, où la route que l’on emprunte, se termine dans les champs, les mares, les forêts. Les habitants sont immuables, éternels, taiseux. On pourrait presque dire mal dégrossis.
Il y a l’église, la mairie, le troquet, le château maison-bourgeoise et l’usine. Rien ne bouge. Rien ne vient faire trembler les murs, les constructions, les routes et les sentiers. De temps en temps, passe un hôte, un visiteur mais il ne s’y arrête pas ou peu. De toute façon si c’est le cas, c’est qu’il a été invité par le châtelain pour une partie de chasse improvisée ou alors il s’est perdu. Il n’y a rien à faire. Rien. La vie s’écoule tranquillement, doucement, sans hâte ni démesure.
Quelques kilomètres carrés, des hectares de champs à perte de vue, des cours d’eau où s’égosillent crapauds et grenouilles, carpes et autres poissons, des jardins planqués derrière quelques grillages éventrés où s’épanouissent les pieds de tomates, de courgettes en fleurs et des lignes d’haricots verts à équeuter sous la tonnelle des soirs d’étés.
Tout est dans la paix d’une partie de pêche, d’une fête de village ou d’une soirée pétanque qui se termine au café de la place. Tout est écrit de la naissance à la mort. Le monde entier pourrait ne pas tourner rond, s’écrouler, cela ne changeraient pas les habitudes.

C’est là, dans ce territoire sans nom, sur ces chemins où rien ne se passent, que vit Chevalier, âme solaire et généreuse de ce roman. Son univers. Son pays. Chevalier… le bourru et tendre Chevalier. Un anti héros des temps modernes, un justicier malgré lui, un taiseux, un solitaire qui préfère rouler sur les routes mal goudronnées, au guidon de sa vieille Mobylette à sacoches, casque au bol couleur orange sans visière vissé sur la tête, qu’au volant d’un 4*4 comme tous les péquenots embourgeoisés du coin, ces bouseux endimanchés.
Un samedi soir d’une journée d’été chaude, ces soirs où le soleil rougeoie juste pour nous, où l’horizon se remplie d’une lumière ocre, or, où il n’y a que l’instant du crépuscule qui s’annonce, … un samedi soir donc, quand plus rien ne bouge, quand tout le monde se retrouve soit devant la télévision à regarder le dernier feuilleton saga de l’été, soit au bistrot à boire une dernière bière, un dernier verre de rouge, … un samedi soir, quand la fraicheur commence à se faire ressentir et que l’on décide à rentrer chez soi, tard, un peu plus tard que d’habitude…

C’est ce samedi soir, que  Chevalier va faire une rencontre qui va changer ses habitudes, les habitudes du village, la monotonie de sa vie. Lui le taciturne solitaire au cœur d’or, lui le vieux gars va briser ses chaines qui le relie à une mère qui s’en fout de lui, une vie d’usine et de ses rouages à huiler, ses amours d’adolescent qui n’ont pas grandi avec, sans lui. Lui qui a toujours porté plus d’attentions envers les autres va ouvrir son cœur, son âme, trouver son horizon, oser affronter bien plus que ses questions, ses peurs. Lui Chevalier va devenir un héros l’instant d’une nuit, d’une semaine, d’une vie… Héros malgré lui, héros à l’épaule démise, à la tête cabossée.

Il est des romans où la vie s’écoule comme le temps semble s’éterniser et finalement en devient plus fort, vrai. Il est des romans comme il est des rencontres avec des gens que l’on croise au détour d’un chemin. Des instants précieux, des entrevus, des partages qui deviennent importants, miracles, tendres, généreux et humbles.
Il est des romans où on pénètre tout en douceur, en beauté, sur la pointe des pieds comme pour ne pas faire de bruit de peur d’apeurer ces gens que l’on nomme braves, petits, que l’on va apprendre à aimer bien plus qu’un instant.
Il est des livres et il est des personnages que l’on a juste envie de voir, d’entendre, de regarder se poser à nos côtés dans la chaleur d’un soir d’été. Ne rien dire. Ne rien faire. Juste savoir que cette personne est là, à vous regarder elle aussi, vous entendre lui murmurer ce que vous ne murmurez à personne. Admirer le silence qui s’installe entre vous.
Il est des livres et des rencontres que l’on a envie d’embarquer avec soi, dans son monde, d’en faire son territoire, son pays, son port d’attache. 

C’est cela que nous propose François Bugeon. Une lecture où il faut accepter de se laisser porter dans un univers loin de nos repères, ceux qui sont cachés comme dans un écrin encore protégé. D’une finesse et tendresse, il nous embarque dans cette province où les champs sont des lits d’amour, de bienveillance, de douceur, où les jardins regorgent de ces légumes et fruits que l’on distribue aux voisins tellement la récolte est riche et le geste simple.
D’une écriture tout en retenue, en luminosité, on part tendrement à la rencontre des personnages, de ce lieu, de Chevalier.

C’est beau, c’est tendre et on y ressent ce plaisir sain, vrai, cette harmonie qui n’appartient qu’à ces villages où rien ne se passe mais où la vie s’écoute, s’écoule dans ce temps de repos nécessaire à nos moments démesurés. On prend le temps d’aimer un à un ces personnages, à en composer un tableau d’êtres indispensables à nos vies, à les choyer. On est dans ces instants où le silence est l’élément le plus puissant, le plus fort, cristallisant les amitiés naissantes. 

Beau, doux, silencieux, solaire. Un moment où on aimerait juste que la vie s’arrête, nous offre le répit de rencontrer des êtres comme Chevalier, des gens simples, bons, sains.

 

« Il n’était pas encore l’heure d’arroser et Chevalier savait qu’il n’avait rien à faire au jardin. il aurait bien voulu se convaincre que c’était aussi un endroit où l’on ne peut attendre que ça se passe, pourtant il n’était jamais allé dans son jardin pour ne rien faire d’aussi loin qu’il se souvienne.
Il était de ceux qui ne rien faire est impossible. C’est une drôle de façon de voir les choses, parce que boire un coup en prenant son temps, ou bien fumer sa cigarette en regardant les voitures passer, ne lui posait pas de problème. Il disait que « c’est se reposer et se reposer c’est comme reprendre son souffle, on en a besoin, c’est utile. » » 

A découvrir aussi chez Antigone, Ludivine, Joëlle, Charlotte, Henri Charles et chez Babelio… Un billet écrit dans le cadre de l’opération menée par l’insatiable Charlotte et des 68 premières fois, édition 2016.

 

Le monde entier
François Bugeon

Rouergue

 

68 PREMIERES FOIS EDITION 2016