14264930_1655731971408099_933713375954270384_n

 

 

« Tout ce que je vis aujourd’hui me sert pour demain. Happé par l’avenir, j’ai le devoir de l’écrire, d’en faire quelque chose, d’enquêter, de mettre du sens. De comprendre ? Tant que je ne l’ai pas écrit et qu’il n’a donc pas subi de transformation consciente qui fait que je ne peux plus penser comme avant, ça n’existe pas. 
C’est peut-être pour ça que je n’ai jamais raconté ce qui s’est passé entre nous.
La raconter à qui,
et comment,
et pourquoi ?
Qui peut entendre ?» 

Je vais être franche. Je suis raide dingue de l’écriture de Mélanie Richoz, raide dingue de cette auteure suisse romande. A chaque fois que je lis ses romans ou nouvelles, je me retiens de respirer, de sourire, de me dire mais « bon sang, où m’emmène-t-elle encore une fois ? ». J’ai beau être impartiale, avoir le souffle suspendu, court,, être à la recherche de ce qui pourrait de trop ou pas assez, elle réussit à me surprendre, me donner cette envie de la lire encore et encore, de trouver sa narration, sa façon d’explorer l’histoire, sa rythmique, son écriture encore plus affinée, complexe, simple dans poésie, belle dans sa dramaturgie.  

Avec elle, on entre dans le drame mais sans jamais se dépeindre de son amour de l’autre, de son sourire, de sa bienveillance et bonté, ses silences. Elle ne laisse rien au hasard, rien. C’est la course à la beauté de l’homme, ces travers, ces regards qui font mal, ces gestes qui sont violents, ces mots qui restent graver, ces sourires qui sont lumières. Et pourtant, il y a tant de douceurs, de vérité, de bonté dans ces écrits. Il ya tant d’amour dans ses mots, d’actes de bienveillance derrière ces hématomes, écorchures, cicatrices. 
Alors oui je suis raide dingue de Mélanie Richoz. J’ai beau me délester de sa personnalité, son sourire qui me fait rire à gorge déployée, sa petite voix, son humanité, je reste accro à sa plume, à sa personne, à celle qui m’a mis le grappin dessus avec  Mue, Tourterelle, le bain et la douche froide, J’ai tué Papa. Je suis fan de son écriture et de cette femme. 

Son nouveau roman « un garçon qui court » est encore plus beau que ses précédents, plus fort, plus intense. Vous n’allez certainement pas me croire, penser que je manque de clarté, de clairvoyance, fais face à une attitude de groupie démesurée, il n’en est rien. Lisez le blog de Mots pour mots ou d’autres sites, et  vous comprendrez pourquoi j’aime « un garçon qui court », j’aime cette auteure.  

« L’écriture n’est pas une confession, non, ni une plainte, ni une accusation, ni une provocation, ni un pardon, ni une vengeance, surtout pas une thérapie, mais l’élaboration pudique d’une pensée qui donne accès à la connaissance.
De soi et des autres,
pour construire
avec et pour eux, à partir de ce qui a été vécu et de ce qui fait que nous sommes ce que nous sommes.
Parce que nous sommes les autres.
Parce que je suis Dindon.
Et parce que des Dindons, il y en a partout. »
 

Dans son dernier opus, Mélanie Richoz fait preuve de silence, de pureté dans l’écriture, de discrétion comme pour mieux camoufler l’orage qui gronde, le secret qui transperce mais ne peut se dire, les émotions palpables, sensibles mais qui n’ont pas le droit de se montrer, de parler.
Dans cette longue lettre qu’adresse le narrateur, Frédéric, à un dénommé Roger, il y a la gravité de l’enfance, les troubles, la main mise d’un homme sur un autre, sur l’enfant qu’il était, la complexité des relations humaines, des amitiés toxiques, les peurs qui restent collées au corps et à l’âme, les dualités qui assènent les parcours de vie, les besoins de grotte, de recueillement, de se faire face pour comprendre le cheminement, l’empreinte du geste, de la parole laissée.

« J’ai la même crainte en t’adressant cette lettre… celle de ne pas être compris,
de te blesser.
Et de payer ensuite. »
[...]
« T’écrire cette lettre n’est pas un acte délibéré, mais une nécessité. Sa publication aussi. » 

Il y a énormément d’amour, de vérités, sur les fils fragiles qui existent entre parents et enfants, entre amis. Sur ces rencontres qui s’opèrent et qui un jour se diluent dans un mensonge, une attitude, des non-dits entrouverts.
Il y la confiance qui se lie et se délie, se perd. La confiance en soi, en les autres devant la trahison, l’abandon, la solitude et l’impossibilité de dévoiler ce secret qui empoissonne la vie du narrateur depuis l’enfance.
Il y a de la retenue, une course à se camoufler derrière une apparence pour ne pas avouer les drames, le drame de ce qui fait mal, celui qui est en lui/en nous et le/nous bâtit maladroitement.
Il y a les jeux d’ombres et de lumières, les trahisons et les mensonges, les mots dits qui sont remèdes, les actes prodigués qui sont amours puis ceux qui restent secrets et qui une fois découverts font mal, prodigieusement mal.
Il y a l’enfance de cet homme et sa vie adulte, ses amours, ses rires, ses sourires, ses silences, ses troubles et cette prodigieuse envie de percer ce qui fait mal, de mettre dans la lumière les cicatrices qui ont trop gratté. Bousculer la trahison pour mieux faire face, se remettre à courir, à franchir les obstacles, à gravir les montagnes, s’ébrouer dans les bras et les rires de Lucille, sa compagne. 

« J’écris comme un promeneur taïwanais en balade au sommet du Schilthorn,
je ne sais où je vis,
mais j’y vais. 

J’écris.
Je t’écris.
Je découvre mes pensées en écrivant, les construis en empruntant des chemins épars, sans signalisation, inconscients, et tombe sur des souvenirs refoulés. 

Mes genoux de gamin sont écorchés mais je poursuis.
Je randonne.
M’accroche
grimpe
M’élève. »

 

Mélanie Richoz nous bouscule, nous pousse dans nos retranchements comme pour mieux nous mettre en lumière, nous prendre par la main et nous donner l’impulsion à reprendre vie, souffle en nous. C’est au bord du gouffre qu’elle éblouie notre lecture et nous redonne ce qui est notre beauté, sa beauté.  

Sa plume est un rayonnement, un apaisement, une douceur à cette course, ce marathon, cette fuite que ce garçon entreprend, ce secret qui à la fois le protège, le camouffle et fait de lui un être au bord du ravin, au bord de l’essoufflement.
C’est beau oui. Magnifique et sensiblement beau. L’émotion poussée à l’extrême. La retenue et le silence qui se lit, lie entre chaque mot. La puissance d’une histoire évoquée en l’espace de cent pages, pas une de plus. Et c’est cela la force de Mélanie Richoz, nous embarquer dans son récit, nous asséner ses mots, en poser la clarté et rythmique, sans chercher à en faire plus. Tout est dit et en rajouter ne sera que fioritures, qu’exagérations et mots en trop.  

Mélanie Richoz a, oui, l’art de me faire pleurer comme une loutre en pleine mer salée, à esquisser ce sourire qui se pose sur mes lèvres, à rendre mes émotions plus justes, belles, vraies, palpables et à juste raison. Elle me pousse à explorer mes ombres pour mieux les mettre en lumière, à rire de la vie, à prendre dans mes bras celles et ceux qui me sont chers, ceux que j’aime.  

Mélanie Richoz a cet art de rendre la vie plus douce, plus tendre, bienveillante malgré les cicatrices, les lourdeurs qui nous insupportent, les trahisons qui nous poursuivent. Elle a le don d’aimer la vie, les émotions et les hommes qui la composent. Et elle a le don d’être une grande auteure, une grande écrivaine. C’est beau, tendre, délicat, farceur, sensible, généreux, vrai, simple, chaud, humain.  Fan je suis, fan je reste.

« La mémoire est le plus puissant porte voix que je connaisse. »

 

Un garçon qui court
Mélanie Richoz
Slatkine

 

112398708