Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le blog du petit carré jaune
12 avril 2017

" La femme aux cartes postales " JP Eid et C Paiement

 

978

« Chère Maman, 

Je ne sais comment vous dire ces choses. Quand vous lirez cette lettre, je serai partie et je ne reviendrai pas. Cela vous brisera le cœur, mais je sais que vous me pardonnerez. Ce n’est pas la maison, ce n’est pas vous, ce ne sont pas mes amis ni mon coin de pays que je quitte. C’est que le monde a changé. A Ste Emilie, je ne pourrai jamais devenir celle que je suis.
Je sais que vous ne serez pas d’accord mais j’ai une place à prendre. Je suis capable. Faites-moi confiance, je vous en prie.
Prenez-soin du chat. Serrez le fort contre votre cœur et dites-lui qu’il me manque presqu’autant que vous. Malgré la peine que je vous fais, je vous aime tendrement. 

Rose. »

 

Avril 1957. Au fin fond de sa Gaspésie natale, Rose s’ennuie. Sur les murs de sa chambre, perdue au milieu des bois, un crucifie orne le mur. Sur le sol, un tapis recouvre un vieux parquet et les seuls objets visibles sont un prie-Dieu, son lit de fer et son bureau sur lequel une bouteille d’encre et un papier traine. Dans la maison qui s’éveille, nulle trace de désordre, nul bruit. Seul le chat revenant de sa nuit aventureuse, amène la vie.
Mais en ce matin, Rose s’enfuie. Rose part rejoindre son ami Roméo à Montréal et concrétiser son rêve de devenir la nouvelle Susan Vaughan, la futur Billie Holliday, de rencontrer Charlie Parker, Chet Baker, jazz-woman, de chanter au Tam-Tam Club.

«  Chère Rosie 

Excusez-moi de ne pas avoir écrit plus tôt mais ici, la vie va à mille à l’heure. Montréal est formidable. La tournée est terminée depuis 2 mois. M. Grimaldi m’a présenté à des musiciens qui jouent tout partout dans le monde. Tu me croiras pas  mais j’ai serré la main à Oscar Peterson. Ici les boulevards et les clubs vibrent au rythme du jazz. Et le plus beau c’est qu’on m’a pris comme pianiste au Tam-Tam club.
Et toi comment ça va ? J’ai appris que la petite fleur de Ste Emilie de Caplan était en train de devenir une très jolie femme. J’ai bien hâte de te revoir.
Maintenant il faut que j’y aille. Mon set va commencer et devine : on ouvre avec « Lullaby of birdland » mais même à Montréal, il n’y a personne qui la chante comme toi. 

Je t’embrasse.
R. »

Pour cela, elle est prête à gagner sa vie à la sueur de son front, à écumer les bars, remplir et essuyer les verres, prête à chanter Lullaby of birdland encore et encore, de retrouver Roméo, monter un trio avec lui et son ami Art Tricky McPhee, un trio qui deviendra un véritable band écumant tout d’abord les fins de clubs paumés pour devenir les nouveaux rois du jazz. Le trio qui fera briller des nuits québécoises, New yorkaises et cubaines.
Mais la vie n’est pas qu’un long fleuve tranquille et mélodieux, un sky of blue, un wonderful word. Les crocodiles guettent les proies. Les clubs ferment un par un, jetant à l’oubli le jazz au profit d’un rock’n’roll et d’Elvis secouant son fessier aguicheur à la bonne société. L’ordre moral se dresse, un jour nouveau arrive appelant la révolution et au communisme. Le monde tourne laissant en arrière le jazz, Rose, Roméo et Art.

P039

45 ans plus tard, quelques part à Paris, Victor Weiss est intercepté par la CIA pour diverses questions concernant ce jour sombre du 11 septembre et du crash aérien qui enseveli, sous les décombres des Twins Towers, des centaines d’hommes et de femmes. Parmi ces inconnus, un homme est identifié grâce à son ADN, une maladie génétique ressemblant à celle de Victor, un Victor déclaré mort 45 ans plus tôt.

Une superbe bande dessinée éditée encore une fois par la magnifique maison d’édition La Pastèque.

On ouvre les pages avec surprise. Noires et blanches ou plutôt dans les tons grisées. Tout doucement on entre dans l’histoire de Rose, jeune fille qui ne rêve que d’une chose, chanter. Un dessin tout en finesse et profondeur, d’une très très grande qualité et qui souligne mille et un détail qui se dévoileront un peu plus tard. Tout est douceur, tranquillité et pourtant on sent que quelque chose se trame, que rien ne sera lisse, facile.
Et on suit Rose dans son voyage au long cours. On suit ses paysages et on arrive à Montréal, la grande ville, le Montréal des années 50/60, des enseignes bluesy qui illuminent les grandes avenues, les dames de petites vertus qui allèchent le passant, les vitrines où la femme devient objet. On monte dans ce tram et on descend quelques arrêts plus loin, quelques mois et années après. On suit Rose, ce parcours de jazz woman, ce trio qui devient bancal. On entre dans les personnages, Roméo, le pianiste gaucher et gauche de cœur, Art le trompettiste aux doigts d’or et à l’âme dangereuse, Rose pas si Rose que cela, mais femme avant tout.
Et puis il y a Victor. L’intrigant Victor. Victor qui cherche à savoir son passé, à déterrer  les fantômes qui hantent les nuits de Montréal. Victor au cœur pur et à l’âme tourmentée.  

Une très très belle bande dessinée aussi bien par la maîtrise de l’histoire, l’intrigue mi policière, mi histoire d’un monde qui connait des révolutions.  

 

004

 

Jean Paul Eid nous tient en haleine, nous balade des années 50 aux années 2000, nous fait vivre mille et une intrigues. On entre dans les clubs et on écoute la voix de Rose, devenue Rosie, nous bercer des standards jazzy américains. On s’écorche les mains sur le piano où Roméo tente de composer un nouveau morceau tout en ramenant au centre de la scène un Art écorché.
Et puis on se télescope à notre autre monde : un récit parallèle se met en place, l’arrivée d’un Victor au passé trouble nous intrigue. Comme décousue, on ne comprend pas trop le pourquoi de ce personnage, qui prend de plus en plus de place, d’ampleur. Comme lui, on remonte le passé, on cherche à comprendre l’histoire, la petite comme la grande, la sienne. Tout s’imbrique, tout devient limpide et crucial. Chaque mot prend son importance, chaque personnage devient central. 

Quant aux illustrations, aux dessins, ils sont d’une splendeur à couper le souffle. Le gris épouse les noirs, les blancs subliment les personnages. Elégant, ciselé, respectant l’univers à la fois jazzy des night-clubs et les mille détails qui soulignent les années 50, la Gaspésie, la Havane. Les cartes postales qui s’insèrent dans l’histoire donnent non seulement du relief au scénario mais permet à Claude Paiement de jouer avec les illustrations, les supports.
Toute en finesse, la dernière partie exploite les codes policiers et nous fait vivre l’histoire de Victor, ce fameux Victor mort 45 ans plus tôt et revenu à la suite d’une enquête de la CIA. La palette de gris devient sublime, les personnages prennent de l’ampleur, les regards se chargent des années passées pour revenir à douceur, mise en lumière dans les dernières pages. Sublime.  

Une vraie pépite qui donne envie de revenir à l’essentiel du jazz, à ces années d’après guerre où le son d’un piano et d’une trompette rythmait les nuits et faisait rêver les amateurs de jazz. Une grande bande dessinée par l’histoire racontée et traversée et l’intrigue qui nous tient en haleine jusqu’à la dernière bulle. Du grand art, de la grande Pastèque.


Retrouver ce mercredi BD chez Noukette

 

La femme aux cartes postales
Jean Paul Eid et Claude Paiement
La Pastèque

Publicité
Publicité
Commentaires
M
Moi aussi j'ai beaucoup aimé et un de mes coups de coeur de l'année.....
S
Un petit quelque chose (en plus du jazz) me rappelle les Blacksad.<br /> <br /> J'ai déjà noté cet album...
M
Un de mes plus gros coups de coeur BD de 2016 ! Comme toi, j'ai adoré l'intrigue, le scénario, les dessins et l'ambiance jazz. Mon billet ici : http://lecturesdemarguerite.blogspot.ca/2016/08/la-femme-aux-cartes-postales-jean-paul.html
S
Je suis très très tentée ! Merci pour la découverte !!
K
Oh, une ambiance jazz! Je veux, je veux ,je veux! J'ai résisté au dernier salon du livre!
Publicité
Newsletter
Archives
Publicité