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Me voilà bien coincée. Coincée oui pour vous parler de ce roman. Impossible de vous en dégager des lignes, de vous en raconter la trame, de vous ébaucher un semblant de résumé. Comme le titre, je suis en suspension, me sentant piégée entre une manipulation manichéenne et une apparence de simplicité d’un monde qui part à la dérive, qui se trouve suspendu dans le vide d’une existence qui se cherche.
Me voilà bien en peine pour vous dire mon ressenti, pour vous parler de cette intimité dévoilée dans un couple qui s’asphyxie, manque d’air, frôle la crise d’asthme et se retrouve face à des tubes et des cathéters branchés comme on redonne vie et souffle à un corps qui ne respire plus.
Je ne sais quoi vous dire sur cet homme couché dans un lit d’hôpital, relié à la vie par le regard de sa femme soumise à un quotidien étouffant, peu reluisant, ennuyant et des machines qui le ranime lui qui était justement patron modèle d’une Petite PME concevant des produits d’aérosol pour asthmatiques. 

Que vous dire, oui, sur ce livre, ce premier roman singulier, ce « Principe de suspension » qui m’a laissée une tache sur le cœur, un manque d’air, un étouffement propre à l’histoire, une indicible empreinte d’un mal d’un siècle qui n’en finit pas de laisser des traces chez les salariés comme les patrons, ce burn-out, cette crise de l’angoisse liée à l’effort, l’action, le rendement, l’action face à la voracité d’un mode qui en veut plus, toujours plus. « 10% de talent, 90% d’effort » comme un slogan, un parcours du combattant.
Le fragile équilibre d’un monde du travail face à la mondialisation, à l’actionnariat, à la contrepartie d’un monde qui ne reconnait plus la valeur humaine mais la valeur financière, nouvelle planche de salut. Le fragile équilibre d’une région qui part à vau-l’eau, qui se voit rayer de la carte, ultra mondialisation en tête.
Le fragile équilibre d’un couple à la dérive, d’une existence qui s’éteint, manque de souffle face à des existences photoshopées, réseautées où tout est beau, luxuriant, riche à souhait, oubliant les valeurs primaires de la vie d’un couple de tous les jours, de ces petits patrons qui tentent de garder la tête haute afin de sauver leur entreprise comme on sauve son couple. Une réussite manquée du bling-bling qui s’active en souterrain dans les familles, la société. 

Un roman qui bouscule, interroge, extermine nos espoirs, nous suspend entre l’envie incroyable de rester en équilibre précaire ou d’avancer. Que dire ? Que faire ? Que croire ? « Principe de suspension ».  

L’écriture de Vanessa Bamberger est ciselée, parfaite, peut-être trop même, détailléeet à la fois sans fioriture, directe mais elle ne m’a pas atteint, parlé. J’ai accroché par des phrases qui me portaient, puis décroché par l’accumulation de personnages, de détails, d’amoncellement de catastrophes qui semblaient nous entrainer dans une chronique d’une mort annoncée.
J’en retiens un dernier chapitre, lumineux, flamboyant où enfin j’ai respiré, réussi à me dépêtre de cette morosité, de ce pessimiste et déclin, où l’écriture de Vanessa Bamberger a réellement pris son envol, sa densité.  

Je ne sais pas si j’ai réellement aimé ce roman. Il ne me restera, je crois, pas grand-chose ou peut-être ce manque d’air, de souffle, d’aspiration-respiration. Comme les campagnes, les villes de moyennes densités, les provinces oubliées où se retrouve les chômeurs, les sans riens, je suis restée à la marge, sans arriver à entrer dans l’histoire, sans m’identifier aux acteurs. Je suis restée en suspension, entre une réalité qui me prenait à la gorge et un roman où l’étendue des dégâts économico-sociétaux se dévoilait. C’est peut-être là que voulait m’emmener l’auteur. Je ne sais pas. Peut-être finalement après réflexion était-ce cela : me mettre moi aussi en suspension, dans un principe que je ne maitrise pas.  Dans ces conditions, ce roman est réussi même si je me sens délaissée par une histoire où la crise économique a laissé des marques dans les couples, des coups de couteaux aiguisés, tranchés.  

Un roman noir, un roman où la vie se guette, où la mort affronte le monde dans tous ses rouages, où l’économie a pris le pas sur la simplicité de l’existence, sur la rentabilité nécessaire de la beauté primaire. Un roman introspectif qui m’a laissé sur le côté comme on peut retrouver tous ces hommes et femmes laissés pour compte dans une société qui joue des coudes, des finances comme on joue des vies. En suspension sans principe.

Un billet écrit dans le cadre de l’opération menée par l’insatiable Charlotte et des 68 premières fois, éditions 2017. Retrouver sur le blog des 68 premières fois, toutes les chroniques liées à ce roman.

  

Principe de suspension
Vanessa Bamberger
Editions Liana Levi

 

 

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