« Sur les sites Internet des journaux, les articles répètent les mêmes informations, maigres et partielles, les mêmes déclarations, les mêmes discours. Ils ne parviennent pas à cacher qu’ils ne sont construits que d’incertitudes. Tout est inconnu. Tout est invisible. Les événements se passent sous terre ou dans l’obscurité et la chaleur d’un réacteur nucléaire. On ne sait rien de ce qui se passe. Et dans les phrases qui défilent sur la page LIVE du Monde se terrent les mots que je croyais réservés à des pays lointains, l’Ukraine, le Japon, ou la fiction. Tremblement de terre. Fusion du réacteur. Césium 137. Uranium 235. Zirconium. Corium. Réaction en chaîne. Tous ces mots forment un nuage. La panique gonfle … »
Des romans parlant de l’apocalypse ou de la fin d’un monde, du monde, j’en ai lu quelques-uns. A commencer par les classiques et autres nouveautés toujours plus innovantes en matières de terreurs, peurs, frayeurs et autres désintégrations d’une humanité qui se délit dans la vase répugnante des cauchemars sociétaux.
Ostwald de Thomas Flahaut a le mérite de laisser son empreinte dans nos interrogations, dans ces questionnements perpétuels de ce que serait notre monde si une catastrophe, non pas naturelle mais belle et bien engendrée par l’homme, toquait à notre porte. Juste sous nos yeux. Si une certaine centrale nucléaire, pour ne pas la citer mais en plein débat politique, écologique et énergétique, venait à se fissure ; si une secousse comparable à un tremblement de terre, nous forçait à rejoindre les routes et forêts, être pris en charge par une armée de pacotille en déroute, être parqués dans des camps d’attente, identifiés et soumis à des lois digne d’une petite république interne (ça n vous rappelle pas quelque chose).
Thomas Flahaut nous secoue, interroge, oblige à regarder notre monde, ré-ouvrir ces yeux que nous fermons volontairement, à repenser à nos schémas, nos idées, nos frayeurs et peurs. Il nous plonge directement dans ce monde ouvrier qui périclite, dans cet univers que nous n’avons pas vu (et pourtant sa fin est annoncée depuis des décennies), pas voulu voir. Que reste-t-il de ces hommes et femmes qui ont vu un jour leur travail diminué, partir pour cause de petits arrangements politico-financiers entre états membres ? Que reste-t-il de ces enfants que nous avons envoyé vers les études dans l’espoir qu’eux réussiraient mieux que nous, qu’ils entreraient, dans ce monde de compétitivité et compétitions, armés ? Que reste-t-il de ces murs qui se fendillent, des usines rafistolées à coup de ciment mal séché, de ces centrales nucléaires dont on ne sait plus quoi faire et comment démanteler ? Que reste-t-il de notre mémoire collective quand l’individualisme marche au pas cadencé?
Oui Ostwald est un roman d’anticipation comme il en existe des masses, comme 1984 d’Orwell en est un. Thomas Flahaut en est l’auteur. Ce n’est pas un roman politique ou écologiste, encore moins économique. Il est écrit dans un souffle rapide, économe, singulier, sec mais nécessaire.
Ce n’est peut-être pas un des premiers romans qui restera sur la liste ou sera retenu pour l’écriture (quoi que) ou même l’histoire (celle d’un jeune homme et de son frère qui fuit la campagne alsacienne suite à une catastrophe nucléaire à la centrale de Fessenheim, qui fuit le monde dépeuplé des ouvriers réduits au chômage et à la plus stricte invisibilité, qui erre dans une campagne où ne subsistent que ceux qui sont déclarés comme nuisibles…). Mais Ostwald est un roman qui interroge, devient fable contemporaine nous poussant vers un avenir où l’homme avec un grand H pourrait retrouver ses lettres de noblesse, où l’Humanité pourrait devenir un modèle de foi, un mot sincère et vrai dans les discours politiques.
Utopie, rêves idéologiques, croyances absurdes et infondées… Peut-être. Thomas Flahaut ne pousse à aucune idée ou morale mais nous interpelle. Et pour cela ce roman a le mérite de nous réveiller et de nous rappeler qu’Erwan Larher avait écrit « Qu’avez-vous fait de moi ? » et « Autogenèse ». Alors juste pour cela… moi j’aime.
Un billet écrit dans le cadre de l’opération menée parl’insatiable Charlotte et des 68 premières fois, éditions 2017. Retrouver sur le blog des 68 premières fois, toutes les chroniques liées à ce roman.
Ostwald
Thomas Flahaut
Editions de l’Olivier