Cécile Bidault "L'écorce des choses"
Lorsque j’ai découvert cette bande dessinée chez Stéph et son bar à bd, j’ai tout suite succombé sur non pas l’histoire mais l’atmosphère que l’on pouvait ressentir, la poésie évoquée, cet ensemble de petites choses qu’on ne sait pas dire, exprimer mais qui s’entend, se ressent, se mélange et forme un langage qui nous est propre, une rêverie, un monde imaginaire, une émotion qui donne une justesse et présence à ce que l’on n’entend pas.
Oui, il y avait ces mots, cette poésie que je devinais au-delà de ce que cette diablesse de blogueuse tendait.
Alors je me suis invitée. Je me suis invitée à découvrir cette histoire, à soulever les stores de feuilles des arbres et toucher l’écorce des choses, entendre la voix de ceux qui ne peuvent s’exprimer dans l’oralité du quotidien. Je me suis invitée et j’ai embrassé cette lecture.
Car comment vous parler de cette bande dessinée sans vous en dire de trop, parce que dire justement n’est pas possible, parce que dire est juste une façon de s’exprimer, d’exprimer un ressenti, parce que dire est une forme de langage que certains ne peuvent effectuer, parce que dire peut-être un d’handicap pour celles et ceux qui vivent, ou on vécu, avec l’interdiction de s’exprimer autrement que par la parole, parole censée, claire et articulée.
Comment vous parler de cette bande dessinée qui parle de la différence, de la compréhension et l’ouverture d’esprit et au monde de la surdité. Comment vous inviter vous aussi à tourner les pages, entrer dans la ronde, gravir les escaliers qui mènent dans un grenier vaste monde, à vous engouffrer sous un drap accroché à des branches, de naviguer sur un fleuve de mots qui ne se partagent pas mais qui se ressentent.
Comme le disait Victor Hugo (à lire dans la préface d’Elodie Hémery), « qu’importe la surdité de l’oreille quand l’esprit entend ? La seule surdité, la vraie surdité, la surdité incurable, c’est celle de l’intelligence. » On ne saurait dire mieux. L’écorce des choses de Cécile Bidault est cela : une intelligence du cœur et de l‘esprit.
Dès la première page on entre dans un graphisme, une histoire qui nous emmène vers quelque chose, une aventure tout en vibrations. Pas un bruit et pourtant on ressent tout. Pas un mot et pourtant, on sait, on devine, on entend. On entend non pas du son, des paroles, un volume quelconque. Non on entend. On entend tout. Tout ce qu’on n’entend pas d’habitude, tout ce qu’on ressent mais ne prêtons pas attention.
Il y a ces instants partagés, en retrait comme éloignés mais présents, ces amis invisibles que l’on se crée pour mieux vivre dans son monde d’enfant (ou d’adulte) sourd, malentendant. Il y a ces disputes, ces rejets, ces désespoirs et ces amours qui se préservent. Il ya ces noyades, ces iles où il fait bon se reposer, se retrouver. Il y a ce que l’on n’entend pas car lorsqu’on est une petite fille sourde le son n’est pas le compagnon quotidien, il est le fil des vibrations agréables, le tissage infime qui relit à la vie.
On se déplace de case en case, de ligne en ligne. On observe avec plus d’attention chaque mouvement, chaque couleur ou mouvement comme un fil qui se tisse entre l’histoire et nous, lecteurs, comme un arbre qui développe ses racines et s’installe en nous, nous fait ressentir son écorce, son refuge.
On se laisse immerger dans ce récit silencieux ou presque. On entend autre chose que la parole. On est à tour de rôle cette fillette sourde, qui ne peut s’exprimer comme tout le monde aimerait, ces parents qui tentent de trouver un moyen de communication, se disputent, forcent l’expression orale en inculquant une phonétique à son enfant, cette voisine qui semble regarder cette petite fille comme un être venu d’une autre planète, ou encore ce petit garçon mystérieux et farceur qui n’a pas besoin de paroles pour comprendre l’amitié.
Il y a le mystère de la vie, la compréhension, la tolérance, les peurs, les doutes, la joie, les victoires et beaucoup de douceurs et d’amours. Il y a toutes ces choses que l’on ne peut dire mais qui se partage : ces batailles de boules de neige, ces moments de désespoir profond, ces colères, ces rires, ces émotions, cette poésie qui regorge dans chaque case, dans chaque saison. Il y a tout un monde aquatique, un monde qui s’ouvre ou se referme, devient aventures, partages, communions, rêves, espoirs.
Simple, épurée, sans chercher à en faire de trop ou pas assez, il ya une grande douceur à ouvrir ce livre, ce récit graphique. Il y a une grande poésie à découvrir ce fil, cette histoire sans bruit, sans bulles ou quasi. Il y a un tour de force à nous prendre par la main et nous laisser dériver dans des sentiments partagés. Et Cécile Bidault nous donne ce sentiment, ce ressenti que l’intelligence n’est pas d’entendre un son, un bruit, de formuler un langage cohérent mais de le ressentir, sentir, que l’esprit entend lorsqu’il ressent.
Retrouver le blog de l’auteur Le cri du crabe et celui de la genèse de L’écorce des choses.
L’écorce des choses
Cécile Bidault
Warum