Martine Delerm "Les petites émotions"
« Laisser échapper son cerf-volant. Inviter les mésanges à diner. Prendre le tapis pour une piste de ski. Se croire encerclé par la marée. Recevoir une carte d’anniversaire. Gagner un poison rouge à la tombola. Partager un moment précieux. Retrouver dans sa poche un coquillage de l’été. Libérer les papillons. Rater son dessin juste à la fin. Guetter les premiers flocons. Etre malade un jour de fête. Renverser le bocal. Ramasser un oiseau blessé. Entendre des bruits bizarres le soir. S’apercevoir qu’on se ressemble. »
On le sait tous : la vie est un ensemble de petites joies et de grosses peines, de moments de doutes et de terribles peurs, de pentes douces ensoleillées et de mystérieuses montagnes brumeuses. Ainsi va la vie dans la palette des jours et des instants unis. Ainsi vont nos émotions dans cette petite bulle qui nous semble légère ou au contraire lourde. Ainsi vont nos chagrins, nos colères, nos craintes et nos doutes, nos rires et nos joies. La beauté de ce quelque chose d’éphémère de ces tous petits riens qui nous font, nous bâtissent, nous grandissent.
Dans la couleur dissoute à l’eau, Martine Delerm nous emmène dans la poésie de son jardin mélancolique, nostalgique. Sans nous brusquer, dans la douceur et la tendresse de cet instant éphémère qu’est une lecture, elle nous dessine nos émotions, sans brusquerie, dans ces teintes d’une douceur et tendresse qu’elle seule sait entretenir.
On marche sur un fil qui se casse, se brise, laisse échapper l’objet volant, nos rêves. La larme à l’œil on sait que plus jamais ce rêve de voler ne pourra se réaliser. La perte est là… Mais tel un ravissement la page se tourne… Les mésanges virevoltent et nous offrent la grâce d’une danse hivernale gourmande et endiablée. L’émotion de l’instant présent, ce moment de bonheur fugace.
Il y a tout cela dans ce petit livre sur nos petites émotions, nos chutes, les pieds pris dans un tapis désarticulés, les récifs qui se dressent devant nous et nous font croire encerclés sur un rocher immergé, perdu. Il y a tous ces petits détails, un goéland que l’on pense venir à notre aide, ce doux coucou qui salut notre anniversaire, ce coquillage que l’on retrouve un soir d’hiver dans le fond d’une poche et qui nous rappelle tant de souvenirs. Il y a la nostalgie, la joie, la tendresse, la douceur, la chaleur de ce qu’on a vécu, vit, est.
Et puis il y a cette palette d'une peinture-aquarelle. Ces couleurs tendres, infinies que l’on sent avec délice, se poser sur la page, prendre forme, accompagner le texte et les mots. Ce lien devient fil, ce fil qui sembler casser en début d’histoire.
Et c’est cela qui fait la magie et toute la tendresse de ce livre recueil. La magie de vouloir le lire, le découvrir, le soir, à l’ombre de la cheminée dégageant sa bonne et vraie odeur de bois, une couverture sur soi, dans la main une tasse de thé, d’un chocolat chaud, la présence discrète mais rassurante de celui ou celle, les rires et cris de ceux qui, au fond, dans les chambres et pièces à jeux, bâtissent des empires, des royaumes de princes et princesses. Rire de ces petites bêtes qui rampent dans les têtes, sous nos parquets vitrifiés. Tendre la main vers l’autre et se rendre compte que malgré les différences, nous sommes tous des êtres avec de petites émotions, une maisonnée d’humains émotionnels.
Chut… en douceur et tendresse, laisser parler les petites émotions et lire Martine Delerm. Un vrai coup de cœur dont on a juste qu’une seule envie… s’imprégner de la poésie et la magie de l’auteure, la laisser couler en nous et entendre, comprendre nos émotions, les émotions de l’enfance, de nos enfants.
(Et relire l'Abécédaire des émotions de Madalena Moniz)