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La Petite Patrie est un quartier populaire de Québec des années 40/50, un de ces quartiers où traine encore des gamins qui se chamaillent, jouent aux patins à glace ou roulettes suivant la saison. Un quartier où pour faire sécher le linge, la mère ou les filles de la maison l’étendent sur le fil qui pend aux poulies attachées entre deux piliers, escaliers-échelles qui ornent les coins de rues. Un quartier où on entend encore jurer le charretier vendant ses légumes  à la criée « de la rhubarbe, des oignons, des radis, du céleri, pis du beau blé d’Inde ! ». On peut voir se glisser, entre deux pans de murs, le  blanchisseur, surnommé Tchingue Tchingue, et son sac de linges sales à laver, les voisins entrer dans le café ouvert sous la maison des Jasmin.
Il faut dire que dans ce quartier, la sagesse populaire catholique est de mise, une sorte de Little-Italie New-Yorkaise. On y vit dans l’insouciance des jours heureux qui passent et dans l’attente de ceux plus tristes qui arriveront un jour. On ne sait pas quand mais ils arriveront. Ainsi va la vie. Le curé l’a dit.
La Lune, Turcotte, Moineau, Claude ou encore Tit-Yves se retrouvent en bande et se battent comme des chiffonniers pour une poignée de billes ou un ballon qui se passe de pieds en pieds. Ils sont les rois du monde de la Petite Patrie, les princes des rues. Les filles attendent sagement qu’un beau garçon les emportent sur leur vélo indomptable et rutilant, les mères jactent sur les voisines du coin et les pères divisent sur la paroisse et la morale qui fout le camp.

Mais à l’aube des années 40, à l’aube de la grande guerre, des jours moins roses frappent à la porte de La Petite Patrie. Au loin, la guerre fait rage, à des milliers de miles et de rêves d’innocents. Le gouvernement décide d’apporter l’aide et les hommes nécessaires à ces nations qui sont en danger, à ces lointains pays qui vivent sous le joug et les bottes de puissants dictateurs. Dans la rue, les fusils de bois font rage. Pour rire les garçons simulent la guerre à coup de pow pow pow, de tacatacata-catatacata, « t’es mort, Tit-Yves ! » et Tit-Yves s’écroule sur le sol, bombardé par une tomate en plein thorax. A la maison, le père rit moins. Les nouvelles ne sont guère réjouissantes et en bon catholique, il est dit qu’un homme doit porter secours à ceux qui en ont besoin. Ainsi les premiers conscrits célibataires se portent volontaire pour défendre la veuve et l’orphelin. La mère divise et pense à ses filles, surveillant de près leurs éducations comme elle surveille le fond de leur porte-monnaie et la soupe du soir.  

Bref dans ce petit quartier de Québec, la vie bat son rythme au son de la vie, de la guerre, des interrogations, des jeux, des garnements qui s’éparpillent dans les ruelles, du curé qui célèbre la messe avec dans les mains une coupe de vin testé par les enfants de coeur. Le temps passe comme passe les saisons, les années, les amours naissants, les flirts qui sentent bon les baisers volés, la mort qui s’annonce au détour d’un jour lugubre. Un quartier comme une tranche de vie, une chronique sociale, un bout des ans qui passe et sent bon la fleur des âges, de l’enfance qui passe, de cette tendresse madeleine que l’on aime croquer.

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Une bande dessinée de Julie Rocheteau et Normand Grégoire sortie tout droit du roman populaire des années 70 de Claude Jasmin et de la célèbre série télévisée qui s’en est suivie. Une bande dessinée que l’on prend le temps de regarder, d’entendre  l’univers chantant et coloré de l’enfance, de déguster chaque moment comme on déguste chaque tranche de vie, chaque personnage devenir, l’insouciance être et les rêves s’emporter. Une bande dessinée comme un sirop d’érable, gouleyant, bon,  sucré, une crêpe suzette que l’on garnie d’un peu de chocolat histoire de la rendre plus savoureuse. Une bande dessinée qui est le parfait reflet d’un quartier, d’une chronique, d’une vie qui passe et se transmet. 

Le dessin quant à lui est coloré, vif, véritable flamboiement d’une enfance qui se chamaille, joue, d’une adolescence qui se cherche. Pour changer des codes de la madeleine appréciée, Julie Rocheteau joue le jeu en cassant les schémas, jouant les angles et les tons chauds ou froids, la bichromie/trichromie selon l’univers et le moment de vie choisi, les émotions qui transpercent les personnages.

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Une bande dessinée touchante qui donne envie de se plonger dans le livre, de déguster chaque moment de vie de Claude et sa famille , de partir se balader dans ce bout de Québec, de regarder la vie passer et se souvenir des bons comme des mauvais souvenirs, ce qu’on a laissé, ce qui nous a fait grandir, le bêtises ou paroles commises et la vie qui passe comme une tranche de pain beurré de sirop d’érable. Du nectar. 

 

Une belle découverte due encore une fois à mon Bar à BD préféré. Les BD de la semaine sont à retrouver chez Moka

 

La Petite Patrie (d'après l'oeuvre de Claude Jasmin)
Julie Rocheteau – Norman Grégoire
La pastèque