Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le blog du petit carré jaune
4 février 2018

Fabienne Swiatly "Boire et plus"

 

couv_livre_3269

«  A treize ans, je bois ma première bière, une Kronenbourg en bouteille 33 centilitres. Je bois au goulot comme cela se fait chez nous. Les verres, c’est pour les invités. Je n’aime pas particulièrement le goût amer de la bière, mais très vite je prends conscience de l’effet que cela produit dans mon corps. Sur tout dans ma tête. Pour la première fois, je ne m’ennuie pas en famille, j’ai envie de rester avec eux, de parler avec eux. J’entre dans la bulle. Je suis en lien et l’ennui a disparu. Le même soir, mon beau-frère me dit : Tiens, t’as le droit de boire maintenant ? Ses yeux me sourient. »

 

 J’ai entamé la lecture de ce recueil au seul nom de Fabienne Swiatly, au seul nom évoquant cette auteure que j’aime suivre pour la force de son écriture, de ses portraits, de ce fil de vie qu’elle tresse entre nous et ces êtres cabossés. Il suffit de lire « Du côté des hommes » pour comprendre la pudeur, la tendresse, la force, la caresse extrême, la délicatesse, la sobriété de ce qu’elle décrit, aime, écrit.
Il y a cette plume qui nous ramène invariablement vers Annie Ernaux, Thierry Metz aussi pour « Boire et plus », cette  attraction qui nous pousse vers la fragmentation de son écriture, cette façon qu’elle a de nous percuter simplement mais terriblement par la beauté de ses textes et mots. Une écriture d’une sensibilité extrême, concise et à la fois d’une force incroyable.

Et « Boire et plus » n’échappe à la règle. 

Une femme et la lente déchéance qui suit, son addiction profonde à la boisson, son engouement et sa mise au ban, sa prise de conscience, son dégoût et la force qu’il faut pour apprendre à se dire non. Et il y a tant à dire dans les mots découverts, dans ses textes qui sont pures émotions, un pur tremblement de tout un corps, comme une petite destruction lente, une mise en abime d’une détresse alcoolique. C’est à la fois d’une tendresse absolue, d’un rire qui part du fond de la gorge et une larme qui se dépose sur les joues alors que l’on ne s’y attend pas ou plus. 
Avec elle on part à la rencontre de cette femme qui n’a eu que pour seule compagne, la bouteille,  l’alcool, ce produit qui une fois entré en contact avec nos papilles, notre sang, dilue ses stimulants, excitants, puis sa lente régression, gueule de bois, déchéance.
On y croise le père qui raconte sa première cuite à l’âge de quinze ans avec les gars de l’atelier, mort de caillots de sang remplis de vin dans les veines. La mère qui boit de la bière Kronenbourg en bouteille d’un litre, du rhum Négrita, de la liqueur de noisette en bouteille de 30 centilitres et du vin cuit Vabé. Un frangin qui pour tromper son ennui au régiment, débouche les bouteilles comme il tombe les filles au bord des sentiers ou des troquets et qui une fois désintoxiqué s’en prend à la cave tout entière. Une sœur, tenancière d’un bar et qui pour tenir face à la clientèle et leurs blagues salaces, rugueuses d’alcoolos légendaires, n’hésite pas à dégainer les deux ou trois verres de Pernod avant d’entamer la journée.
Et puis il y a Elle, Je. Elle et son addiction. Elle et cette proportion qu’elle a de croire que l’alcool est la résolution des soucis, problèmes, des vérités qui ne sont pas bonnes à dire ou à camoufler. « Je ne suis pas  alcoolique mais ivrogne. Je suis la seule à saisir la différence. Je suis la seule à vouloir croire à une différence. » Et puis tenir deux jours, une semaine avant de recommencer de sombrer de nouveau au fond des verres, d’être dominée par ou pour. Elle ne sait plus, elle ne sait pas. Boire pour oublier la solitude, la perte, le gout de vivre, l’envie de continuer. Boire pour ne plus parler, entendre, écouter, seulement l’acte, l’acte qui devant les corps lourds et suintants devient animal, bestial, déchéance. Toujours. Et un jour se réveiller.

« Il me faut boire pour danser, boire pour parler et rire, boire pour me rapprocher des hommes et parfois embrasser une bouche. Danser et boire. Boire encore et encore… Le corps des hommes, le corps des femmes. Danser puis boire, parler et boire, puis boire et boire, boire une dernière fois… Saturer. »

Une écriture fragmentaire d’une puissance et émotion qui nous touche, nous culbute, nous fout par terre dès la première ligne, dès la première gorgée. On s’enivre des mots, de cette sensibilité pudique qu’elle nous dessine, de ses personnages rencontrés qui ne sont que fragilité, mise en abime de toutes ces bouteilles et verres que l’on peut boire, ouvrir comme on peut boire un simple café. Un regard-écriture fait de tendresse, délicatesse, d’une caresse qui nous vient subitement, s’attarde sur la joue et nous réconforte, nous donne la force de sortir la tête du verre, de se redresser, de ne plus se juger ivrogne, mais alcoolique, avoir un problème sérieux, une dépendance avec l’alcool. C’est fort, poignant. 

On ressort de cette lecture, les tripes à l’air, les larmes perlant au coin des yeux, l’envie subite de ne plus toucher une seule goutte d’alcool, de se tenir éloigner de tous ces verres proposés. Et à la fois, on a cette envie de tendre la main, de toucher l’épaule, poser sa tête et demander de l’aide ou tout simplement ne plus se sentir seul, connaitre cette solitude, l’ennui, l’oubli, l’absence… 

Boire et plus. Lire et encore, toujours. Se rapprocher de Thierry Metz, sentir l’émotion arriver, refermer le livre sur les derniers mots. Pleurer. Vivre… tout simplement. Encore et tout le temps. Vivre. Magnifique Fabienne Swiatly. Merveilleux mots à lire, ne plus s’abstenir. Oublier ces textes, ces fragments baume, réconciliant, ce désir immense qu’est la vie.

« Il faudra apprendre à refuser, à dire non, à stopper, à cesser, à décliner les propositions, passer mon tour, m’abstenir, rester sobre, rester à l’eau, dire j’ai bu ma part, ma dose, me priver… Arrêter avant que cela ne m’arrête. »
 

 

Boire et plus
Fabienne Swiatly
La Fosse aux Ours

Publicité
Publicité
Commentaires
L
Il est beau ton billet : habité !
Publicité
Newsletter
Archives
Publicité