« Quel est le sens de la vie ? Une question que je me suis souvent posée dans ma jeunesse. Je cherchais désespérément une réponse comme si elle existait dans un livre. Je naviguais à vue en cherchant à combler un vide. Et pourtant depuis quelques temps ma vie n’était pas dénuée de sens. Mon corps avait envie de sourire. La vie s’était installée en moi. J’avais envie de vivre. Je m’appelle Jennifer et j’avais vingt-trois ans ! […] . Aujourd’hui j’en ai quarante-cinq et je vis dans la banlieue de Minneapolis aux Etats-Unis. »
Il y a des histoires pour lesquelles on éprouve ce sentiment de devoir en parler mais on ne sait comment. On ne sait pas parce qu’on lit dans ces pages, c’est avant tout l’amour, l’amour dans ce qu’il y a de plus pur, plus beau, plus sain, malgré les guerres, malgré les différences, malgré la souffrance, la peur, la mort. L’amour comme on peut le connaitre pour un homme, une femme, un enfant, un ami, une amie, un membre de sa famille ou pas, quelqu’un qui nous est cher, tout simplement. Il y a dans ces pages, le mot amour qui se pose dans chaque mot, chaque pensée, chaque pas mis l’un après l’autre, des rencontres qui s’opèrent, qui apprennent à relever la tête, à croire et aimer l’autre, les autres, à faire fi de son passé, de ses croyances ou peurs. Il y a du beau, du tendre malgré les noirceurs, les pièges, la mort qui tourne et s’abat. Il y a ce quelque chose qui nous fait croire à l’immortalité, à cet oiseau légendaire, le phœnix, symbole des cycles et des résurrections, à son pouvoir de renaitre de ses cendres, de revenir à la vie.
J’aime les romans graphiques par ce qu’ils donnent, apportent à nos réflexions, nos questions sans réponses, notre ouverture d’esprit. J’aime découvrir par l’intermédiaire du mot, du récit, de la palette et du trait, l’univers dans lesquels ils nous emmènent, nous culbutent ou font parcourir. Il n’est jamais innocent de se laisser porter de cette sorte, de lâcher-prise et découvrir la force et puissance, la douceur et tendresse de la littérature qu’elle soit romancée ou dessinée, illustrée. Et lorsqu’on aborde la résilience autour d’une fiction, il en va de soi, que nous grandissons avec, que nous aussi, nous sommes amenés à nous élever, grandir et regarder notre vision différemment.
Le voyage de Phoenix est un récit où les destins s’entremêlent, où des personnages se croisent à des instants de leur vie comme pour mieux s’appuyer les uns sur les autres, renaitre d’eux même, de leurs quête, leurs angoisses, doutes, joies, comme ces phénomènes psychologies qui nous emmènent à comprendre et accepter les traumatismes et construire sa vie, celle qui nous fait souffrir, nous détruit, nous harcèle de doutes, de craintes ou de peurs, le sens et son pourquoi.
Alors bien sûr ce récit nous emmène sur les traces de ces soldats qui ont combattu en Corée lors d’une guerre dite de pacification, de défense contre une idéologie politique communiste, capitaliste. Mais que comprendre lorsqu’à six ans, son père n’est pas là, qu’on ne l’a jamais connu et qu’évoquer son nom est comme un blasphème, une brindille que l’on jette dans le feu des souvenirs qu’on immole ? Que faire lorsque pour tenter de combler le vide affectif qui nous hante, on part chercher des traces de ce père, de cet homme, des indices de ce qu’il était, ce qu’il est devenu et que l’on décide de rester dans ce pays qu’il a traversé et fui par traitrise à l’idéologie américaine apportée. Que faire quand frappe à la porte de l’orphelinat où l’on travaille (comme ce besoin affectif que l’on cherche et continue à combler), un couple et emmène avec soi cet enfant coréen auquel on s’est profondément attaché, comme un enfant à soi ou presque, un être qui nous ressemble dans sa joie, ses sourires et ce qu’on cherche au fond de soi, l’amour et la paix.
Que faire quand cet enfant grandi au milieu d’une famille recomposée et que l’on est la grande sœur ? Une grande sœur qui disparait à son profit, qui n’existe plus aux yeux des autres. Que faire lorsque l’oncle a combattu dans cette même dite guerre de pacification, qu’il en est revenu GI auréolé de souvenirs militaires et d’idées de la Grande Armée ? Que faire quand l’enfant apporte le bonheur de voir, de grandir et de faire de ses souvenirs, des souvenirs qui redonnent la vie, apportent l’apaisement, la connaissance de soi et des autres ?
Et que faire quand l’enfant disparait ? Meurt ?
« La mort de son enfant est certainement l'expérience la plus traumatisante qu'on puisse vivre en tant que parent. Une partie de vous-même, de notre chair s'en est allée pour toujours pour un voyage sans retour. Comment faire son deuil, après une telle épreuve ? Je n'ai pas de réponse, et pourtant, il faut poursuivre sa route, et continuer de donner un sens à sa vie. »
Comment décrire la force des sentiments, la résilience qu'il faut bâtir, construire pour parvenir à gravir les montagnes, à poser les armes, apprendre à vaincre les amertumes et deuils, les fracas et les naufrages, l'abandon et la guerre. Comment poursuivre sa route, construire son chemin, prendre et tendre la main quand tout semble perdu, mort, englouti, à jamais disparu et impardonnable....
Sublime juste superbement sublime. Et comment ne pas aimer cette histoire, cette page d'histoire, ces hommes et ces femmes ? Comment ne pas se poser de questions face à ce que les guerres laissent en « cadeaux », en dimension humaine. Une bande dessinée toute en finesse, en douceur et tendresse. Un roman graphique qui apporte la paix, la sérénité malgré le thème abordé, la force du phœnix et de son symbole.
« Le temps arrange souvent les choses. »
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Le voyage de Phoenix
Jung
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