« CHICAGO
Je m’étais habitué à la 30. Je ne sais pas exactement quand je l’ai quittée, mais j’ai traversé des faubourgs pendant une bonne heure avant de me retrouver sur une autoroute à six voies face à la « sky line . Alors j’ai relâché la poignée des gaz pour m’en mettre plein les yeux. »
Alors qu’il s’apprête à courir le marathon de New York, le narrateur de ce récit à l’aventure humaine mélancolique et envoutante, reçoit un SMS : « Au lieu de « Bonne chance », j’ai lu « c’est fini entre nous. ».
J’aurai pu de nouveau vous parler de l’histoire, de ce récit mélancolique, d’une aventure humaine à hauteur d’une shadow 750 et de virages, de lignes d’horizon qui fuient, de sky lines et autres droites, de paysages plus envoutants les uns que les autres, de personnages rencontrés au gré d’un périple d’Est vers l’Ouest. J’aurai pu vous parler de ce spleen qui se glisse, se délaye dans l’encre, se disperse dans l’eau d’une larme qui tombe sur la feuille blanche, dans les mots qui se livrent, se laissent aller quand arrive la tristesse, la mélancolie, l’ivresse des soirs de blues et de relent de vies passées.
« Manhattan
C’est Ed qui m’a parlé de Lincoln. Abraham Lincoln, le 16ème président des Etats-Unis d’Amérique. C’est lui qui m’a parlé de la Lincoln Highway, la route qui traverse les USA de la côte Est à la côte Ouest. »
J'aurai pu.
« LOVELAND
Une autre année, je me serais bien arrêté ici. Un nom pareil, ça devrait valoir le coup de tenter le sort. Et depuis le café Beaudelaire, j'ai bien abattu deux cents bornes. Mais je ne suis pas d'humeur. Sans compter qu'il faut avancer si je ne veux pas arriver trop tard au bord du fleuve Missouri.»
J’aurai pu vous parler de cette Amérique à laquelle on croit, de ce rêve d’une vie des anges, d’un Eldorado au goût d’or et de richesses découvertes grâce à l’esprit d’aventure qui galvanise les Etats Unis.
J’aurai pu vous parler de l’errance découverte, des dessous des cartes d’un monde ultra libéral, où la pauvreté sonne au porte de ceux qui avaient quelques choses et qui ne possèdent plus rien, de ces évangélisateurs qui toquent aux portes comme résonnent les cloches désaccordées des églises mormons apportant une parole dite divine.
J’aurai pu vous parler des laveries automatiques où l’on rencontre le vrai visage de ces états traversés qui lavent ces ethnies comme on lave son linge sale en famille. J’aurai pu vous narrer les paysages traversés, les montagnes gravies, les Rocheuses et autres déserts, les villes qui n’en sont plus ou qui renaissent d’une misère connue, subie suite aux faillites des grandes firmes et autres industries.
« HORIZON VIEW POINT
Je suis sur la route 50. La pancarte « horizon view point » résume parfaitement la situation. Pas de doute. On a un point de vue splendide sur l’horizon. Mais franchement, le paysage est si vaste que la pancarte, on aurait pu la placer n’importe où. »
Mais Lincolh Higway 750 de Bernard Chambaz et Barroux est un récit graphique qui se découvre dans le silence vrombissant des meurtrissures de l’âme, dans le vent se déployant sur le corps au détour d’un virage pris en tête d’épingle, le genou frôlant le bitume, dans le fond de ce qui ne se dit pas dans les livres d’histoire et de géographie mais qui se découvre comme on découvre une réserve naturelle, un pays qui se livre au détour d‘une sky line devenue universelle tant elle impose sa grandeur.
Lincoln Higway 750 est de ces lectures qui se prennent comme un pari que l’on se fait, comme un ras le bol à la vie qui nous donne une chance de revenir, de se redécouvrir, d’enfourcher un bolide comme on réapprend à marcher, à déposer un pied devant l’autre, à tourner la poignée de gaz pour accélérer, se laisser griser par la vitesse, cheveux au vent, s’autorisant à découvrir les vertiges.
« RENO
C’est donc la dernière étape de la traversée. Ce matin, il fait frais, le ciel est sans nuages. La carte montre que la lincoln Higway se dédouble Deux routes sont possibles : au Nord par emigran gap et gold run, au Sud par strawbery et Pollock Pines. Laquelle choisir ? »
Il y a la mélancolie, la déroute, l’eau qui lave les feuilles, l’encre qui se dépose et se dilue dans le fond des verres de bourbon, dans ce gris qui ressemble à ces moments de vie que l’on fuit. Il y a ces mots de Chambaz qui résonnent dans nos tympans, nos cerveaux, nous emmènent loin, nous prennent par la main comme on embarque un ami qui s’enfonce dans le blues, se lave dans son histoire finie. Il y a la vie, à chaque page, une vie qui nettoie, se délave, s’essore, se rince, se sèche, se renouvelle, traverse comme on traverse des états de vie, des états d’un pays, en découvrant mille richesses en nous, mille petits tracas et misères qui nous font malgré tout tenir debout.
La vie des fois ne se raconte pas. Elle se vit. Dans les instant présents, dans ces découvertes qui nous ramènent à l’essentiel, dans les rencontres que l’on fait le temps d’une échappée nécessaire, d’une échappée comme une renaissance, une absence que l’on s’autorise pour mieux revenir, un voyage qui nous ouvre le cœur et les yeux, nous lave et nous rince d’un gris soudain.
« LAKE TAHOE
[…] Je laisse aller la moto. Je donne juste quelques coups d’accélérateur en sortie de virage. Mais je relâche aussitôt la poignée des gaz parce que le voyage est bientôt fini et que je veux goûter chaque seconde. J’enlève mon casque, je l’arrime à l’arrière de la selle, et je glisse dans la douceur de l’air revenue. »
Il y a des romans, des récits graphiques qui ne se racontent pas. Il y a des aventures humaines qui se lisent comme on lit sa propre vie : cheveux au vent, casque à l’arrière sur la selle, le sourire au coin des lèvres dans la douceur de l’air revenue.
Les BD de la semaine sont à retrouver chez Noukette (qui me nargue comme c'est pas possible cette semaine !! )
Lincoln Highway 750
Bernard Chambaz et Barroux
Urban Graphic