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Le blog du petit carré jaune
31 octobre 2018

Sibylline, Capucine et Jérôme d'Aviau - Le Trop Grand Vide d'Alphonse Tabouret

 

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«  Il était un matin de cette fois-là.
Au milieu d’une forêt tendre, dans une clairière de rien,
un tout petit machin se réveille mais ne se souvient pas. 

Ni de ce qu’il fait là, ni de ce qu’il a dormi, ni de ce dont il a envie. » 

Il est tout petit ce machin, il n’est pas grand-chose. D’ailleurs quand on le voit on ne sait pas trop ce qu’il est avec sa grosse bouille ronde et ses bras désarticulés, son corps démembré, ses deux yeux comme deux points sur le visage. On ne sait pas trop ce qu’il fout là, au milieu de la forêt, couché sur un gros rocher. Lui-même se pose la question « Je suis quoi, qu’est-ce que je fais là ? » 

« - Tu es né de la dernière pluie, je t’ai regardé pousser, c’était joli. Je t’ai appelé Alphonse Tabouret. Ça te va bien maintenant que tu sais parler. »
«  - Alphonse Tabouret ? Ah oui, ça me plait aussi. » 

Ainsi nait Alphonse Tabouret, petit bout de machin, aussi bavard et attachant qu’une petite personne, bernique accroché à son rocher, posant mille questions à Monsieur, une grande ombre noire, qui lui a donné la vie. Mais Monsieur n’est pas très content, car malgré le fait de lui avoir appris à jongler dans les herbes hautes, tenir un bout de bois sur sa bouille sans nez, dessiner sa silhouette sur un rocher, Monsieur est agacé par toutes les questions et qu’Alphonse, ne sait pas partager, même un mot, même une simple parole ou amitié. Bernique il est, bernique il s’accroche.

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Car notre ami la petite chose, ne sait pas donner. L’affection naïve en bandoulière, l’amitié et l’amour endive en devise. Alors quand il se retrouve seul suite au départ de Monsieur, il doit affronter la solitude, faire face à ce fameux Très Grand Vide. Et la solitude dans cette grande forêt, ce n’est pas la solitude que l’on connait. Il faut marcher longtemps pour rencontrer quelques objets, trucs ou des autres machins. Il faut trottiner par de multiples chemins, escalader des troncs, monter sur des rochers, traverser des monts et des marais. 

« Alphonse a erré longtemps, à se demander comment donner un sens à sa vie. Enfin, surtout que ça manque vachement de panneau une vie. » 

Quelle est belle cette bande dessinée, récit initiatique à l’illustration quasi enfantine, parfois naïve et pourtant d’une maitrise et précision totale. Quelle est belle et touche droit au cœur, nous enveloppe de cette envie de devenir ami avec Alphonse Tabouret, de partir avec lui à la rencontre des habitants de la grande forêt, de tenter de faire face au chagrin que crée la solitude, le Trop Grand Vide. Car Alphonse a beau chercher, trouver des hobbys, se prendre d’affection pour des inconnus croisés, offrir des cadeaux, ouvrir son cœur, son chemin prend de multiples virages, des tournants accidentés, des pentes ardues et escarpées.
C’est qu’il n’est pas facile de trouver des amis, l’amour, des vrais, le vrai, ceux avec qui il devient possible de partager, d’échanger, d’offrir et recevoir. Et parce que les chagrins, les vides sont des fois si forts lorsque la nuit arrive, la journée se passe sans entrain et sans envie, qu’il devient dur de traverser les gouffres et les vides qui se déploient sous les pieds. 

« Parce que le chagrin du vide de tout, il est difficile à consoler. Surtout quand il n’y a personne. Et que ça, c’est qui manque le plus. Mais qu’on ne le sait pas vraiment. » 

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On a envie de noter plein de petites phrases où le rire n’est jamais loin, l’alerte dans les mots qui sonnent juste, et qui pourtant font place à ce mystère de recherche et de quête qui nous poursuit toute une vie. Quelle est notre place dans la forêt et devra-t-on la traverser seul afin de se prouver que l’on peut exister ? 

Si le langage utilisé parait enfantin, caricatural par les questions posées, les pourquoi, les comment, le trio gagnant composé de Sybilline, Capucine et Jérôme d’Aviau, joue sur une poésie aérienne, enlevée et relevée, ne serait ce que par la typographie utilisé toute légère en ronde et boucle. Elle emmène droit au cœur, nous interroge sur la notion d’amitié et d’amour, sur cette aventure que nous traversons, cheminons et cherchons à partager.
Le scénario nous prend au dépourvu et on entre, nous aussi, dans cette immense forêt qui ressemble à un jeu de l’oie avec ses pièges qui nous font reculer d’une ou plusieurs cases et celles qui nous font avancer voire brûler des étapes, accélérer dans les méandres des racines et des rochers rencontrés. On affronte l’adversaire, ce Trop Grand Vide, cette solitude qui, des fois, nous surprend, nous laisse seul dans l’affrontement de la vie, dans ses questions sans but ni pourquoi que l’on se pose.  

 

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Alors bien sûr ce petit machin d’Alphonse, sous son trait-dessin naïf et enfantin, s’ouvre aux autres. Il  rencontre un double, une peste, des gentils qui possèdent eux aussi une part manquante, un trou béant à la place du cœur, des petits vieux en forme d’endive, sages, au cœur d’artichaut bien chaud. Il partage leurs secrets, leurs questions et leurs gestes, cadeaux et mots remplis de générosité. Mais il demeure seul. Seul parce que la vie des fois, c’est pas « fastoche, fastoche, si vous voulez mon avis », « c’est compliqué, ça fait des boules qui mâchouillent le cœur quand on est triste » Et on n’aime pas être trop triste. On n’aime pas. Mais c’est comme ça. Des fois on n’a pas le choix. 

« Il aurait voulu qu’on lui explique pourquoi s’aimer ça ne suffit pas à être heureux. Peut-être que l’amour, c’est trop compliqué, que ça serait plus fastoche d’apprendre à tricoter. »

Parce que pour aimer, il faut apprendre : « les gens, tu les aimes avec ton cœur ». Et le cœur, on n’en a jamais trop assez pour tricoter.


A lire chez Moka, amoureuse elle aussi d'Alphone Tabouret. Découvrir Rat et les animaux moches du Trio et retrouver l'ensemble des BD de la semaine chez Stéphanie

 

 

Le Trop Grand Vide d’Alphonse Tabouret
Sibylline, Capucine, Jérôme d’Aviau
Ankama

 

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Commentaires
S
Entre ton avis et celui de Moka, nul doute qu'il finira entre mes mains :)
J
Un duo d'auteurs qui fonctionne à merveille !
N
Déjà noté il n'y a pas longtemps, je suis toujours aussi curieuse de la découvrir...
C
Très joli graphisme ! Je note !
M
Je n'avais aucun doute sur ta capacité à aimer follement ce petit Alphonse-là.<br /> <br /> Quel personnage au potentiel affectif absolument incontestable ! Avec cette petite touche de folie et d'absurde qui sied à merveille à ce récit.
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