"Eux sur la photo" Hélène GESTERN
" Vous me demandez qui va se souvenir de nous. Je vous dirais volontiers que c'est d'abord à nous de nous en soucier. De recréer un présent qui nous appartiendra et que nous ne nous disputerons pas les morts. Nous sommes poussés en avant, c'est vrai. Mais d'un même mouvement, cette fois. "
Bon il faut que je vous parle de ce roman... un roman coup de poing, un roman tonnerre, un roman qui ne pouvait échapper à mes yeux ne serait ce que par son titre "eux sur la photo". Tout un symbole.
" Oui, il est insupportable de ne pas savoir ; ce silence familial est un poison qui contamine tout ce qu’il touche, nos rêves, nos peurs, nos vies d’adultes. Et il finit par nous replier autour de de nos questions trente ou quarante ans après. "
Tout part d'une photographie retrouvée parmi les papiers familiaux, un cliché somme tout banal : " La photographie a fixé pour toujours trois silhouettes en plein soleil, deux hommes et une femme. Ils sont tout de blanc vêtus et tiennent une raquette à la main. La jeune femme se trouve au milieu : l'homme qui est à sa droite, assez grand, est penché vers elle, comme s'il était sur le point de lui dire quelque chose. Le deuxième homme, à sa gauche, se tient un peu en retrait, une jambe fléchie, et prend appui sur sa raquette, dans une posture humoristique à la Charlie Chaplin. Tous trois ont l'air d'avoir environ trente ans, mais peut-être le plus grand est-il un peu plus âgé. Le paysage en arrière-plan, que masquent en partie les volumes d'une installation sportive, est à la fois alpin et sylvestre : un massif, encore blanc à son sommet, ferme la perspective, en imprimant à la scène une allure irréelle de carte postale."
Cette image en noir et blanc incite Hélène à partir sur les traces de sa mère, morte lorsqu'elle avait trois ans. Autour d'elle le silence. Le silence familial qui a toujours laissé des questions sans réponse : qui était sa mère, d'où venait-elle, quelle histoire familiale racontait-elle ?
Une petite annonce passée dans un quotidien comme une bouteille à la mer et Stéphane vivant en Angleterre répond après avoir reconnu son père, un père qu'il a toujours senti distant : "De quels secrets a-t-on voulu nous protéger, et au prix de quels mensonges ?".
A distance, Hélène et Stéphane se lancent dans une enquête contre le silence, à la rencontre d'un passé trop souvent tu, un passé couleur sépia/noir et blanc, un passé rempli de photographies, d'images trop souvent cachées. Cette quête du temps les amène à se découvrir eux mêmes et à appréhender un monde, des personnages trop souvent rêvés, idéalisés. Qui étaient leurs pères, leurs mères, pourquoi autant de secrets autour de ces vies et de ces disparitions ? Quelles seront leurs vies ? Que vont-ils découvrir ? Vont-ils l'accepter, le digérer pour finalement mieux se connaître ? L'image (la photo ?) qu'ils ont d'eux et de leurs familles ne va-t-elle pas s'en trouver bouleversée ? Une enquête qui reprend et redonne vie à des êtres perdus.
Hélène GESTERN sur le thème commun des secrets de famille, réussit sa photo. A partir d'une simple correspondance entre deux êtres, elle nous replonge dans les méandres de notre propre passé. Et pour vous dire la vérité, je suis rentrée dans ce roman sur la pointe des pieds. L'auteur m'a prise en traite. J'ai entamé la lecture de ce 1er roman tout doucement pour en ressortir profondément bouleversée, lessivée,émue, é-mue. Trop d'amour, d'actés manqués, de cris étouffés, de solitudes, d'histoires inachevées. Les secrets, les non-dits laissent des marques indélébiles, un passé.
A la sortie de son roman, l'auteur disait " J'aimerais que "Eux sur la photo" rencontre, avec la plus grande douceur possible, l'histoire de ceux qui le liront (car nous sommes tous les héritiers des secrets des autres). Mais aussi qu'il soit capable d'offrir des moments d'intensité et de plénitude, cette pulsation très spéciale de la vie que procure parfois la lecture." Pour moi ce fut ce coup de tonnerre, une rencontre réussie, une photo punaisée dans un album jauni...
"Je photographiais ce qui évoquaient des souvenirs. Des souvenirs perdus que j'espère encore garder avant de les laisser filer. Des souvenirs que je me suis efforcées de retrouver au travers de lieux et d'objets, et bien d'autres qui sont des pièces du puzzle que je suis. " (citation de Jehanne MOLL)
Billet à regarder et lire chez Fais moi les Poches