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Le blog du petit carré jaune
18 juillet 2016

"Etre ici est une splendeur" Marie Darrieussecq

etre ici« Mackensen dit que la force est la chose la plus importante. Que la force est au début de tout. […] Je suis d’accord, mais je sais aussi qu’elle ne sera pas au centre de mon art. Je sens en moi une trame douce, vibrante, un battement d’ailes tremblant au repos, retenant son souffle. Quand je serai vraiment capable de peindre, je peindrai ça. » 

Il y a quelque chose qui va bien au-delà de ce que Marie Darrieussecq nous conte sur Paule M. Becker dans son dernier opus « Etre ici est une splendeur », c’est la force et la volonté de devenir femme, d’être une femme au sein d’une société régie par les hommes, organisée autour du regard des hommes. C’est la beauté de devenir elle, jeune fille d’une Allemagne Barbizon, Ecole Pont Aven, Worpswede  où règne les peintres de renom, les poètes, les grands de cette fin du XIXème siècle.

Paula Modersohn Becker, une vie fulgurante, intense comme une étoile filante, astrale, lumineuse, farouchement indépendante aux autres constellations. Trente et un ans. Pas un an de plus dans sa vie. Trente et un ans.
Paula est une toute jeune artiste, une débutante dans la peinture mais elle a déjà cette farouche indépendance, cette insoumission qui lui donne son regard, lui procure ses sensations et cette délicatesse aux vibrations, aux émotions qui ornent les corps de ceux qu’elle déshabille.
Sa  vie est la peinture.
Tout tourne autour et rien n’aurait pu la dévier de ce chemin. Rien.
Paula est peinture.
Paula est peintre.
Méconnue, inconnue, se frottant aux plus grands, aux Renoir, Rodin, Matisse, Gauguin mais elle est peintre. Son corps offert sur les toiles, ses autoportraits d’elle nue, ces seins, ce nombril, ce regard mutin, canaille, ce sont les siens.

La toile est sa peau, son corps, son pinceau. Elle ose, décortique sa nudité comme une offrande non pas à la sexualité, mais à la féminité. « Ceci est mon corps, regardez le, il est le corps d’une femme, des femmes, celles qui allaitent, celles qui sont elles, celles qui deviennent elles, femmes avant tout et devant tout, devant les regards des hommes, devant la société bien pensante, devant les nomenclatures, les impostures liées à leur place ». Femme. Peintre.  

Nul narcissisme de sa part, Paula veut être elle, une femme peintre. Jusqu’au bout de ses doigts, dans sa chair, son plus profond. Au diable son mariage, la maternité, les clichés, au diable ceux qui lui donnent son amitié, elle le désire, est, vibre à la projection de couleurs sur la toile, au pointillisme qui apparait en ce début de XXème siècle, aux nabis et leurs touches fauves, en la volonté farouche d’apprendre, regarder, comprendre, aimer la matière, les couleurs. Une Camille Claudel du Paris de 1900, une Camille Claudel Allemande qui a faim d’art. Une femme libérée, insoumise au dogme masculin et qui ose voyager, vivre, se déclarer alors qu’elle est mariée à l’un des plus prestigieux peintres allemands, celui pour qui son cœur battait pendant son adolescence, Otto Modersohn mais qui s’est farouchement obstinée à ne pas dévoiler son amour, à ne pas donner naissance. Celle qui avait comme ami le plus prestigieux des poètes, Rilke. 

Si ces peintures ont commencé comme pour beaucoup, par des natures mortes, des fleurs, des portes, des intérieurs, elle s’oriente très vite vers le nu, le déshabillé, le dévoilé, le vrai. La vérité dans son regard. Nul mensonge dans son pinceau. La splendeur de l’ici, la lumière du maintenant, la beauté de ce moment. Le nu dans toute sa splendeur.

Elle aurait pu devenir, elle aurait pu être.
Mourir à trente et un an. Mourir avec son œuvre qui l’attend.
Mourir en laissant un bébé de dix huit jours.
Mourir dans la splendeur. La lumière.
Elle restera jeune éternellement. Elle restera une artiste au caractère volontaire, indépendant, farouchement libre, intelligente, joyeuse. Femme. 

«  Et par toutes ces brèches, j’écris à mon tour cette histoire, qui n’est pas la vie vécue de Paula M. Becker mais ce que j’en perçois, un siècle après, une trace ». 

Marie Darrieussecq nous décrit une femme en proie à son époque et son envie de créativité, de devenir, elle, d’être elle, loin des carcans et conventions de son époque. Elle nous éblouie par sa tendresse, sa lumière, son intensité à vivre, farouchement, indépendamment. Libre avant tout et libre dans sa peinture. Libre de se peindre nue parce que les modèles coutaient cher. Libre d’oser montrer son corps qui sera décrié pendant la période nazisme. Libre d’être femme.
L’écriture est une splendeur, lire ce livre est une splendeur. On est envouté par la force, la correspondance dévoilée entre Paula et Rilke, entre les époux Modersohn. On est éblouie par la tendresse, l’amour qui se dégage des mots de Marie Darrieusseq. On est en osmose avec l’écrivaine et l’artiste. Marie et Paula. Paula et Marie.  

Un livre féminin mais nullement féministe au sens revendicatif, sacralisé. C’est intense et c’est beau. Splendide. La trace d’une femme qui fut éphémère dans son siècle mais intense dans sa création, son œuvre, son regard sur le corps des femmes, sur le regard de Paula M. Becker. L’identité féminine dans sa plus grande douceur, caresse, luminosité.

 

« Les rencontres nous signent. Nous devenons des livrets d’or. Nous apprenons à parer des mots données par nos aimés. » 

« Chez Paula il y a de vraies femmes. J’ai envie de dire des femmes enfin nues : dénudées du regard masculin. Des femmes qui ne posent pas devant un homme, qui ne sont pas vues par le désir, la frustration, la possessivité, la domination, la contrariété des hommes. […] Il n’y a chez Paula aucune revanche. Aucun discours. Aucun jugement. Elle montre ce qu’elle voit. » 

« En s’écroulant, elle dit « Schade ». C’est son dernier mot. ça veut dire dommage. J’ai écrit cette biographie à cause de ce dernier mot. Parce que c’était dommage. Parce que cette  femme que je n’ai pas connue me manque. Parce que j’aurais voulu qu’elle vive. Je veux montrer ses tableaux. Dire sa vie. Je veux lui rendre plus que justice : je voudrais lui rendre l’être-là, la splendeur. »

 

A retrouver chez Cathulu et regarder la vidéo où Marie Darrieussecq nous raconte la génése de cette bio.

 

 

 

Etre ici est une splendeur - Vie de Paula M. Becker
Marie Darrieussecq

P.O.L.

paula_modersohn-becker_028

 

 

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Commentaires
L
J'ai trouvé l'exposition tellement sans intérêt que du coup je n'ai plus envie de lire cette bio :-/ Cela dit je n'ai pas non plus trop le temps ^^
G
Dois-je vraiment dire que je veux, je dois le lire? Ou bien l'avais-tu évidemment deviné? Merci pour ce billet vibrant... :-)
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