"Le loup en slip " Lupano, Itoïz, Cauuet
Je ne sais pas vous, mais ce mois de novembre, il est bigrement long et morose. Depuis le jour de ce premier mois jusqu’à ce week-end, on enchaine entre les pages nécrologiques aux titres racoleurs et celles aux enjeux politiques et relents nauséabonds, outranciers, voire plus même.
Et quand les conditions météorologiques s’en mêlent, les ultra sensibles comme moi descendent en rappel à 15 mètres de profondeurs pour trouver son petit coin de grenier, grotte sympa et y faire pousser ses idées, ses envies, ses petites lumières, les regarder s’égrener et devenir, enfin essayer, de beaux arbustes ou simples fleurs, voir des bouquets de rires.
Car il est vrai qu’à force de crier au loup, de rameuter sans cesse les troupes autour de l’animal qui guette au coin du bois sa proie et est prêt à croquer les bons villageois que nous sommes, nous ne cernons plus trop le bien et le mal.
C’est qu’il fait peur l’animal lorsque qu’ « au dessous de la forêt […] un cri qui glace, un regard fou », le loup noir des ténèbres glapit, assis sur son arrière train scotché à la pierre glaciale, la queue dressée tel un arc prêt à tirer sa flèche. Les yeux comme deux triangles, le poil hérissé en crête sur son dos, surplombant le feuillage abritant les petits êtres de bois, le loup fait PEUR !! (un peu à la manière du célèbre journaliste annonçant l’arrivée des petits hommes verts). Ouh qu’il fout la frousse !!
Alors pour combattre l’animal aux yeux perçants et aux dents acérées, les habitants de la forêt se regroupent. Des alertes « enlèvements » sont affichées sur les troncs pour aviser et mettre en garde la population. Des alarmes, des pièges anti-loups, des clôtures barbelées sont proposés afin de sécuriser son chez-soi grâce à des appareils ultra-performants et dernier cri qui, suivant le son choisi, transmettent au propriétaire un bruit de cloche ou de réveil strident prêt à faire fuir le moindre voleur rabatteur de petits-enfants. Les gazettes n’hésitent pas à faire de leurs unes, des articles anxiogènes ou reculs et analyses ne sont pas souverains. Dans les clubs de sports et de coachings, tout est fait pour apprendre à parer aux agressions du loup : cours de karaté, parade juridique, lectures autour de l’animal et même l’écureuil du coin qui promet à coup de saucissons, de chips, de cakes et de noisettes de vaincre cet être noir et sanguinaire.
Quant aux cerfs politiques et autres analystes psycho-socio-théologiques, ils s’en donnent à cornes- joie, professant des vérités absolument terrifiantes : « alors le loup n’est ce pas ? Ses crocs comme des pioches, son regard fou. Son pelage hirsute. Bouuuuh ! LA PEUR ! Bien entendu la peur, comment faire autrement n’est-ce pas ? » (Quelle belle métaphore contemporaine…, rien que pour ces deux pages, le loup nous fout les pétoches).
Bref le loup, cet animal assoiffé de sang et de chairs fraiches que les brigades anti-loup surveillent, prêtes à intervenir à la moindre embuscade terrorisante.
Alors quand le loup descend de sa colline et pointe son bout du nez dans la clairière, les horribles crocs prêts à dévorer le plus petit blaireau, le moindre sanglier ou oiselet, c’est l’effervescence, genoux mous, tout mous. Les portes claquent, les terriers se terrent, les arbustes deviennent des refuges et les brigades tremblent. Planquez-vous le loup arrive… Oui mais en slip !!!!
Vous l’aurez compris, Lupano, Itoïz et Cauuet ont encore frappé. Nos vieux briscards nous ont encore une fois entortillés dans leurs pages ou l’humeur joyeuse et massacreuse sévit pour notre plus grand bonheur.
Rien ne nous est épargné : nos humeurs peureuses, nos pièges anti-machins, anti-humains, nos hommes politiques et leurs travers, la protection et autres brigades militaires. Ils sont machiavéliques et un brin taquin, rebrousse poils comme nous les aimons. Un vrai plaisir à décortiquer ces quelques pages où ils jouent avec nos peurs, nos émois, nos frayeurs de l’autre, de l’inconnu, de celui qui ne nous ressemble pas et sème l’effroi dans nos pays policés (ou « polissés »).
On retrouve la verve « des vieux fourneaux » à qui un joli clin d’œil est adressé en fin d’ouvrage mais aussi à notre Bigouden préférée qui se révoltait contre les pollueurs et autres profiteurs de notre planète dans « Un océan d’amour ». Ils n’hésitent pas à se transcender pour mieux nous amener à découvrir qui est le loup, cette drôle de bête qui se balade en slip dans les forêts. (Un slip kangourou faut dire… quelle idée géniale). Il y a de la faconde, de la fougue, de l’œil pétillant et des sacrées mises en abimes à nos sociétés.
Les « dialogues » de Wilfrid Lupano sont drolissimes à souhait, plein d’actes révolutionnaires et de conseils judicieux pour être terrorisés. Tout est décortiqué, fin, vrai et rempli de candeurs (comme les vieux fourneaux). C’est à la portée des enfants qui rient de voir le loup ainsi se promener en slip et à nous, pauvres adultes, qui sourions de nos effrois à découvrir qui est cet inconnu qui nous terrorise tant.
Quant aux illustrations signées Mayana Itoïz…. en un mot : j’adore. Elle joue admirablement bien sur les couleurs sombres et inquiétantes en début d’ouvrages, celles qui apportent l’inquiétude, l’effroi. Elles rebondissent sur le scénario de Lupano sans l’alourdir mais au contraire en décomplexant nos revers, mettant le doigt là où il faut, montrant nos irraisonnables raisons. En utilisant les animaux de nos forêts, Itoïz joue, tel La Fontaine, de nos comportements pour nous mener vers la rencontre de celui qui a l’arrière train assis sur une pierre.
Enfin vous comprendrez que cet album destiné à la jeunesse de nos têtes blondes, finira dans nos rayons bandes dessinées, et grâce à nos trois lascars, nos humeurs moroses et frileuses se sont mises à rayonner et rire de nos mélancolies, effrois et autres tristesses de ce mois de novembre. (En allant sur le site de Dargaud, on apprend que « Le loup en slip » est le tome 1 d’une série… Eh ben on n’a pas fini de se tenir les côtes et de se marrer les amis).
« Le loup en slip »… Président du monde et de l’univers intergalactique avec comme ministres des rires et anti morosité nos vieux fourneaux et M’ame Bigouden et son petit marin! (Sur une musique de la guerre des étoiles). Ce loup en slip… il est vraiment, il est vraiment, il est vraiment phénoménal !!!