Lettre à Angélique Villeneuve "Maria"
Chère Angélique Villeneuve,
Je vous écris en écoutant une émission de Kathleen Evin, L’Humeur Vagabonde. Vous connaissez je suppose. Vous allez me dire pourquoi et quel est le lien avec votre roman, vos mots ? J’aime ce vagabondage, cette ouverture d’esprit et de culture à laquelle nous amène Kathleen Evin. J’aime cette voix mais surtout le chemin qu’elle nous fait prendre, le regard ou l’attention qu’elle dissimule, guide. J'aime ce que vous nous écrivez en filigramne et ce que vous nous amenez à penser, lire, s'émerveiler.
Et au moment où je vous écris, ce sentier de la voix me mène vers un photographe que j’apprends à connaitre depuis peu. Un photographe malien, Malick Sidibe. Je ne le connaissais pas et depuis quelques temps je vois fleurir son travail, son regard, ses portraits sur la société malienne, sur ces petits gens qui, il n’y avait pas si longtemps encore, n’avait pas la connaissance de la capture de l’âme, de la vie, sur le genre que l'on prédéfinie.
Pourquoi vous dis-je cela ?
Votre roman « Maria », me fait penser à cette capture de vies, de regards, de ces personnes qui n’osent respirer trop fort de peur de casser leur image et qui d’un seul coup, d’un seul mouvement font entrer la vie dans leur poumon. Ces personnes qui sont remplis de mille éclats.
Vous êtes une créatrice, une créatrice de portraits écrits. Vous êtes une de celles et ceux qui nous ouvrent l’esprit, qui nous amène à s’intéresser à ceux qui ne sont pas des grands noms mais qui sont en rapport avec la société, avec leur envie. A l’égal de Malick Sidibe, vous êtes une artiste des mots. J'aime cette façon dont vous photographiez vos mots, vos personnages. Vous leur donnez chair et âme, vie. Tout en douceur, sans heurt, ni grandiloquence dans le mot. Vous leur donnez naissance en les affirmant, en leur permettant de respirer, de s’apprivoiser, de résister ou pénétrer dans ce monde qui semble si loin de leur univers. Vous les construisez de votre regard. En douceur, comme une infime planche contact qui se révèle, devient œuvre. Entrer dans vos romans, c’est entrer dans des vies. Et vous êtes, Angélique, une artiste des portraits intimes, de l’écriture tendre, de la générosité de la vie.
Et votre Maria en est l’effigie.
Maria… Marie… Mère de celui qui fut l’enfant divin… Ce n’est pas un hasard je pense si vous avez pris ce prénom. Ce n’est pas un hasard si nul ne sait rien finalement de son identité. Cachée dans son univers, ses habitudes, ses contraintes et ses doutes, elle regarde, s’inspire, écoute, redéfinie, résiste et s’ouvre. Elle s’ouvre au contact de ce petit fils dont elle tient la main ne sachant comment l’appeler, ne sachant comment le définir et définir celui ou celle qui vient après lui, le genrer. Car comment appeler cet enfant quand le sexe n’est plus synonyme de désignation. Comment découvrir, faire exister le nouveau né quand on ne sait comment l’appeler, le prendre dans ses bras, lui donner une vie ? Il est-il Il ou Elle ? Et Elle, qui est-elle, lui ou elle justement ? Maria qui par son regard va apprivoiser ce nouveau monde, ce nouveau genre, s’ouvrir et exister, respirer à pleins poumons, devenir enfin cet oiseau qu’elle rêve depuis tant d’années. Maria qui va comprendre que la vie ne se tranche pas à coup de sexe, de genre, de déisgnation toute tracée.
Il faut le dire. Votre roman est puissant. Puissant comme un torrent qui devient fleuve ou plutôt une source qui s’écoule doucement pour devenir rivière et confluent. Aller à la rencontre. Aller à sa rencontre. Réinventer la vie. Une quête du genre, comme une quête du sens, comme une ouverture qui s’exerce au fur et à mesure, qui casse les idées reçues, les tabous, les définitions existantes. Qui a tord, qui a raison ? Redécouvrir son enfant et ceux qui deviennent les enfants de son enfant ?
A l’instar de la photographie qui orne le bandeau d’accueil, on s'interroge, entre dans un mystère, des doutes, des inquiétudes et notre part d’enfance, l’existence cachée et qui devient. Il est puissant dans une société qui justement remet en question cette part du genre, cette question sur l’existence, sur l’enfance et la définition des rôles et des identités. Votre roman est généreux, tendre, sincère. Et c’est cela qui fait que « Maria » est un beau roman. C’est ce que vous avez écrit en portrait qui en fait un roman terriblement attachant.
« Le monde égalitaire n’est pas pour demain »… Avec vous, on peut commencer à en redéfinir les contours, les portraits et y croire. Croire aux mille éclats qui ornent chacun des visages et faire de notre monde des rencontres et des partages.
Maria
Angélique Villeneuve
Grasset