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Le blog du petit carré jaune
12 février 2018

Adeline Baldacchino "Celui qui disait non"

9782213705941-001-T« Et j’avais vu Dachau, Bergen-Belsen et Buchenwald, vu Auschwitz et pleuré dans la lumière du crépuscule, quand j’essayais encore de comprendre comment il était encore permis d’écrire de la poésie, comment il fallait justement en écrire parce que prier, non, ce n’était plus possible – qui voulez-vous prier : celui qui ne répondit jamais, quand on le suppliait dans les chambres à gaz ?

Et les mésanges de Bernburg, et les pivoines d’Auschwitz, n’étaient-elles pas indécentes ? » 

Lui c’est August Landmesser. L’homme qui disait non. Celui qui a refusé un jour de juin 1936 de lever le bras dans le port de Hambourg devant ce petit homme à la moustache ridicule que tout le monde vénèrait, psalmodiait, applaudissait, ébahi par les propos.
August, un homme comme  un autre. Ni plus ni moins. Allemand de naissance, de race que l’on nommait aryenne. Simple ouvrier participant à la construction des chantiers navals d’Hambourg au temps naissant du nazisme d’Hitler. Un simple quidam comme il y en avait tant. Encarté dans le mouvement d’une Allemagne nouvelle, comme chacun l’avait fait pour se donner un rôle, une identité, retrouver des valeurs communautaires et d’engagements économiques. Car il y croyait à cette nouvelle marche, à ce désir de redressement. Alors oui, il s’était encarté croyant au nationalisme socialiste comme unité politique et identitaire.

Mais voilà… la politique ne mène pas à l’amour. La politique édicte des lois, des décrets qui éloignent ceux qui s’aiment. Et ce jour là, dans le port de Hambourg, August refuse de lever le bras, de prêter allégeance, de se résoudre à acclamer et approuver celui qui crie et invective celle qu’il aime, celle qui est sa femme, son épouse, même si aux yeux des lois nazies, il est impossible d’épouser une juive, une « sang impur », lorsque l’on est (nait) aryen, de « sang pur ».
Alors oui il refuse de lever le bras. Il devient sans le savoir celui qui disait non. Celui qui cinquante ans plus tard renaitra à la faveur d’une photo retrouvée, une photo où l’on voit dans la foule, le visage d’un homme, les bras sur le torse, le visage volontaire et impassible à la foule qui salut Hitler. Un homme debout.
50 ans après et une histoire qui renait des cendres, des roses fauchées, des chants de résistance, des rues ensanglantées, des fenêtres brisées, des enfants nés, de la nuit de cristal et autres dates oubliées. L’histoire d’une photo, d’un amour à tout jamais mort derrière des barbelés, d’une Allemagne nazie qui a connu un passé, une haine du juif, d’un peuple, et de l’amour entre un homme et une femme qui pouvait exister. August et Irma. Irma la douce.  

« Car l’homme qui disait non à Hitler disait surtout oui à Irma. J’ai eu besoin de contempler longtemps cette histoire d’amour et de courage. Dans quel ordre cela se passa-t-il : devient-on courageux par amour, ou bien amoureux parce qu’on en a le courage ? A quoi ressemble un héros qui ne sait pas qu’il l’est ? Combien d’amour faut-il, exactement, dans l’alambic où se fabriquer la puissance de dire non, quelle dose exactement pour contrecarrer la faciliter de dire oui ?
Combien, pour faire d’un homme « un-qui-résiste, et qui sait, comme ça, d’instinct dans sa chair qui le pressent à sa place, que ce grand cri sur le port de Hambourg, ça ressemble au Mal ? Combien d’amour pour être persuadé que lever le bras, ce serait comme lui faire mal, à elle, Irma ? Que c’est aussi simple que cela. Ni raisonnement politique ni militantisme rationnel. Juste un homme qui ne détruit pas ce qu’il aime. » 

On entre dans ce roman par une photographie, la photographie d’un homme qui n’est ni plus, ni moins qu’un simple homme. Et l’on découvre une histoire, l’histoire avec un grand H, celle que l’on a apprise, celle que les Allemands eux-mêmes n’ont jamais cherché à enterrer ou camoufler, celle que l’on recrache sur les tombes, celle qui encercle les camps de barbelés, celle qui a fait d’amours clandestins, des romances au gout de sang et de résistance, de libertés et de cette envie de plus jamais.
On entre dans un roman où la trame nous emporte en nous demandant comment peut-on encore écrire sur ce pan d’histoire où tant de mots, de thèse, de récits, de romans ont été écrits par ceux  qui ont vu, subit, vécu. On entre par cette photo noir et blanc jaunie par le passé, retrouvé par hasard au détour d’un journal et on se prend tout un pan qu'il ne faut jamais oublié, qu’il faut regardé droit dans les yeux pour comprendre que celui qui disait non disait oui à la vie, à l’amour, à la furieuse envie d’aimer et de résister. 

AdelineBaldacchino a écrit un récit, roman, ouvrage qui est à la fois terrible à lire par les images que l’on se crée, qui sont ce passé qui fait mal, qui rebondit de fenêtres brisées, en cœurs arrachés, et à la fois d’une poésie, d’une écriture qui envoute, se dore d’un romantisme absolu qui nous rappelle les grandes œuvres de Goethe ou de Rilke. Il y a une écriture à suivre, qui ne demande qu'à s'enflammer, à s'écrire et lire. On entre dans une vision apocalyptique, en enfer, tout en sentant la force et la beauté des mots, des sentiments, de cette résistance farouche et sauvage d’un homme qui aimait une femme, la sienne. Puissance poétique.

Je me demande souvent que peut-on encore dire de cette période, quels sont les écrits, les paroles qui peuvent encore se prononcer, comment continuer à ne pas oublier, enterrer alors qu’il me semble que tout a été déterré ? Peut-être que finalement nous, notre génération et celles qui suivront, auront des choses, des témoignages, des cicatrices encore à ouvrir, des histoires à comprendre pour oui, ne jamais oublier, ne jamais enterrer ce qui n'est pas à enterrer. Jamais oublier « celui qui disait non », ceux qui disaient non, ne jamais oublier ce père qui un jour a aimé.

« C’est bien lui, c’est bien lui, Vater, le père, tel qu’en lui-même transfiguré : Landmesser August, l’homme qui disait non parce qu’il aimait. » 

Un roman qui interroge, malmène et à la fois ne nous quitte pas, nous enrobe par la grâce, la poésie d’une écriture et nous donne une force inouïe, celle de résister et de croire en la force d’aimer. Toujours. Encore. Dire non pour mieux dire oui à celle, celui qu’on aime. Qu’importe la politique et les religions. Et comprendre que dans les livres d’Histoire, chacun retrouve un pan de sa propre mémoire. 

 « Il vaut toujours la peine d’avoir aimé, même à la folie comme d’être insoumis, même à la folie, ce qui revient peut-être exactement au même. » 

 

Celui qui disait non d’Adeline Baldacchino fait partie de la sélection des 68 premières fois, éditions 2018. A retrouver sur le site, toutes les chroniques des éditions passées, en cours ainsi que les diverses opérations menées.

  

Celui qui disait non
Adeline Baldacchino
Fayard Editions

 

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Commentaires
Z
Un livre comme vous savez en dénicher...<br /> <br /> J'aime ta conclusion
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