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Le blog du petit carré jaune
23 mai 2016

"Giboulées de soleil" Lenka Hornokova Civade

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« Il faut le préciser, on est des bâtardes de mères en filles, comme certains sont des boulangers ou rois. Aujourd’hui, il n’existe plus de boulangers. Ils ont été remplacés par des boulangeries industrielles qui crachent du pain sans âme. Les rois n’existent plus non plus et ont été remplacés, eux, par le Parti Communiste. ll faut maintenant être communiste de pères en fils. L’avantage avec le communisme, c’est que chacun peut l’adopter, alors que normalement il n’y a qu’un seul roi par pays. »  

« Giboulées de soleil » est un roman à voix qui nous bouscule et nous fait entrevoir ce qui nous bâtit, nous renforce ou détruit, ce qu’on reproduit comme un schéma, une filiation, une bâtardise, mais aussi cette force d’être autre, différente.

« Giboulées de soleil » de Lenka Hornakova Civade est un roman gigogne. On ouvre un à un les chapitres, ces portraits de femmes,  ces poupées matriochkas aux ventres gonflés de maternités clandestines, aux pères inconnus, ces tiroirs à secrets, de non-dits et de silences, ces pans d’une histoire intime pour plonger dans la grande histoire d’un pays.

Tout commence dans un village perdu aux pieds de l'Autriche et l'Allemagne, dans l'ancien Empire Austro Hongrois. Un village où tout se joue et qui ressemble à son pays : la Tchécoslovaquie. Une campagne au milieu de nul part et où nulle route ne mène. Une cité rurale construite aux pieds de frontières. Un entre deux, un no man's land.
Dans ce village, Marie, donneuse de vie, mère courage, accoucheuse du monde. Dès le premier chapitre, on comprend que, sur elle, repose la lignée, la faute transmise de mère en filles, la malédiction maternelle, le fil rouge brodé de ce roman.
Marie nous captive par ces gestes, sa volonté, sa douceur, son insatiable appétit de vivre. Sans concession, avec courage et franchise, raison et opiniâtreté, elle donne la vie et met au monde les enfants qui traverseront les frontières intimes pour apprendre à vivre, à devenir eux, à être libre. En elle le bonheur s’inscrit  dans chaque instant qu’elle donne, offre, quitte à ne faire aucune concession et rester libre de toute mainmise.
Sa fille Magdalena, douce, silencieuse, son ainée, qui rêve d’un ailleurs, d’indépendance, de partir loin de ce pays qui s’effrite, se déchire. Une Magdalena qui s'émancipe, tombe amoureuse de celui qui ne faut pas, le père de sa fille, Libuse. Magdanela qui s'unirera à celui qui deviendra le poison, l'homme qui sème l'horreur et dont rejaillira la faute, le dégoût comme l'image d'un pays qui bascule dans une image de terreur.
Libuse la lumineuse, Libuse la volontaire, la belle Libuse, fille d’un amour interdit. Libre et en transit dans un monde qui bouge. Libuse connaitra les beautés, celles qui se prolongent dans chaque chemin parcouru, l'amour passion pour atteindre les ténèbres, la bassesse des hommes, la dureté et la lâcheté de la vie au pied d’un arbre. Libuse la première qui accédait à un possible départ, à un enseignement, qui voit le monde changer, devenir un emprisonnement. Libuse qui se bat pour rester fidèle à ses convictions et qui donnera naissance à Eva, fille de personne, enfant d'hommes.
Eva. La jeunesse, l’insoumise Eva, celle qui est la quatrième poupée, la plus jeune, celle sur qui repose non pas les espoirs, mais des possibles, des lendemains chantants, changeants, celle qui n’aura qu’une envie porter le nom de famille que ces femmes lui ont transmises comme un étendard, une victoire sur ce monde rural, sur ces hommes, comme un étendard d’un pays naissant. Celle qui a déjà compris dès sa naissance qu'elle ne sera jamais la fille de, mais elle, autre, différente. Celle qui n'aura pas d'identité mais la sienne, celle de cette lignée de femme-mère, de femme-courage.

Difficile de vous parler de vous parler de ce roman, ces quatre portraits touchants et volontaires qui traversent leur vie comme on traverse l’histoire de la Tchécoslovaquie, un pays bâtard, orphelin de sa propre histoire, malmené entre un ancien empire austro hongrois, une démocratie toute jeune, un régime dictatorial et une main mise communiste au fort pouvoir muselé. Difficile tant tout est lié, comme des poupées russes, ces matriochkas, qui n’en finissent pas d’accoucher d’enfants qui connaitront la même destinée. Difficile de vous narrer ce fil fin brodé, rouge sang, tant il est compose un pays aux frontières bousculées, des hommes qui jouent à la politique comme on joue avec les femmes lors des conflits ou des grandes idéologies de pouvoir.  

Malgré quelques longueurs ou des portraits incomplets, j’ai plongé dans les tourments de ces récits de femmes aux vrais et beaux caractères. J’ai lu, poursuivi par une histoire familiale prédestinée, dure, ingénieuse, tendre, coriace, douce, libre, lumineuse.
Ce roman est une ode à la femme, aux femmes, à celles qu'elles sont, des femmes à aimer parce que libre, différente, amoureuse, volontaire. C’est beau, lumineux,  friable et à la fois indestructible comme la vie, comme un pays qui se cherche, qui se décline une identité politique aux pouvoirs contrastés, ténébreux et avide de liberté.  

« Au fond de moi, je ne sais pas si j’aurais tellement aimé rentrer dans le cadre de la normalité. La normalité, c’est ce qu’on nous assène, dès notre plus tendre enfance. Pas d’écart, pas de fantaisie, ni plus haut, ni plus bas, ne pas sortir du rang, en pas être remarquable, ni remarqué, être effacé. D’ailleurs, on en a fait une idéologie, de la normalisation. ça présuppose que l’on sait ce qui est normal et que l’on tend vers cela. En gros, c’est penser, vouloir, dire et vivre tous la même chose. Du moins en apparence. Oui, s’effacer, et là, paradoxalement, on peut commencer à exister soi-même, secrètement, en catimini ; avoir une vie clandestine.
Moi je ne rentre pas dans le moule, j’ai une tache de naissance, une ligne blanche depuis des générations. C’est ça être moi, être de la lignée blanche, ne pas normale. Je crois que ça me convient, en dépit de la prof et du reste du monde. »

 

A lire chez Mots pour mots (qui en parle bien mieux que moi) et chez Le goût du livre (un avis plus mitigé). Un billet écrit dans le cadre de l’opération menée par l’insatiable Charlotte et des 68 premières fois, édition 2016. 

 

Giboulées de soleil
Lenka Hornakova-Civade

Alma

 

68 PREMIERES FOIS EDITION 2016

 

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Commentaires
D
C'est doux ! on y retrouve des images disparues de nos campagnes,
L
Quelle plume ... et en lisant ton superbe billet je me replonge dans ce roman ... Merci.
V
J'aime beaucoup la corrélation que tu fais entre l'histoire du pays et l'histoire de ces femmes.<br /> <br /> En tout cas moi j'ai adoré !!!!
C
Oui à ces portraits de femmes, cela m'intéresse beaucoup. J'adore le titre, qui évoque à la fois des explosions de vie, de bonheur, et des nuages menaçants...
A
Je suis moins emballée que toi en effet, j'ai trouvé un peu trop d'incohérences dans le cheminement des femmes, mais c'est un premier roman et je relirai volontiers l'auteure. Le contexte historique m'a par contre beaucoup intéressée.
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