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Le blog du petit carré jaune
13 novembre 2016

"Anguille sous roche" Ali Zamir

anguille-sous-roche

«  la vie d’un individu est un immense château caverneux où l’on trouve des antichambres, des chambres et des caves, […] la vie d’un individu est un ensemble de pièces éclairées et de pièces sombres tenues secrètes, chacun de nous est presque un océan, donc on est dans ce monde comme dans une immensité composée de tant d’océans, dont la profondeur de chacun révèle l’existence indiscutable d’une variété inépuisable de créatures, et tout cela on ne peut pas l’apprendre du jour au lendemain dans des morceaux de journaux comme le croyait notre moraliste, ni dans des bibliothèques monumentales non plus, aucune presse écrite, aucun bibliothécaire, aucun savant n’a pu jusque-là épuiser les secrets de la mer, et parmi ces secrets ma vie y figure, comme une pauvre petite goutte riche d’eau qui ne fait ni plus ni moins à cette immensité dont la profondeur et la force de l’obscurité brisent toute sorte de lumière, »

 

Bon sang, comment vais-je pouvoir vous parler de ce roman tiroir, de ce roman anguille, de ce roman qui nous amène dans les coins et recoins crépusculaires et profonds de l’âme humaine ? Comment vais-je louvoyer dans ce bouquin qui m’a fait passer par de multiples étapes, par des rochers, des virages, des cascades, des ombres et des lumières ?
Un Objet Littéraire Non Identifié ou du moins si… bien identifié. Un sacré exercice de lecture, une pirouette, un plongeon vers l’inconnu, un je ne sais quoi que je ne saurai dire mais oui, « Anguille sous roche » d’Ali Zamir est un petit chef d’œuvre publié par le Tripode qu’il faut apprendre à ne plus maitriser, laisser couler et faire corps avec.  

Anguille oui. Sous roche. Avec un titre pareil, on saisit tout de suite que rien ne sera simple, que la lecture sera une construction, un lieu de divertissement de la nature humaine, un observatoire des âmes, des corps et du cœur. Car l’anguille est, à la source du mot, un charognard, un invertébré qui ne vit que la nuit, n’aimant pas la lumière, se cachant, tapie dans les ombres des rochers. Elle est connue pour sa fourberie, sa duplicité, son sens inné de louvoyer en eaux troubles, se faufiler dans les nasses pour éviter le combat et mordre ensuite.
Et l’histoire qui s’en suit et du même calibre. Une histoire comme j’en ai rarement lu ainsi. Ou du moins dans sa construction. Une histoire qui n’a ni queue ni tête, ni bras, ni jambes. Pas un seul point pour terminer une phrase. Des paragraphes qui vont et viennent, tergiversent, nous déboussolent, étourdissent au point de ne plus comprendre ou Ali Zamir nous emmène. Envouter à sa plume, envouter à ce parfum où la vie effleure chaque page, où les mots nous saisissent par leur vérité, leur beauté, leur force de langage et de corps. Mordu à cette anguille. A lire comme cela, le récit ne tient pas debout, glisse, tombe, coule, serpente… comme une anguille.

L’histoire… je pourrai vous la raconter. Car même si on serpente entre les mots sans jamais vraiment savoir où Ali Zamir nous embraque, histoire il y a. Pensez donc, s’appeler Anguille et décider de faire de sa vie un conte non pas princier, mais un conte africain. Le genre de conte dont on entend le début mais on ne connaitra la fin qu’après bien des tumultes, des rires, des erreurs, des personnages, des masques et des musiques du cœur, des revers, des paysages, des villes, la mer, des périples et des destins. L’affaire n’est pas claire, les eaux sont boueuses et les ténèbres profondes.
L’histoire d’une jeune fille qui nous emmène sur les plages de Mutsamdu au large des Comores, dans les rues de la Médina, dans l’antre crépusculaire des silences et des fracas des hommes, de leur ébauche à leur débauche, de leur solitude à leur luxure. Le dédale vertigineux de l’âme humaine en somme. 

Bref ce roman est un vrai exercice de style où l’on recherche dans un premier temps à comprendre le cheminement, on se perd dans les dédales de cette histoire. On s’entortille, glisse dans les palabres et jérémiades. Et pourtant on s’accroche, ferré à l’hameçon. Les phrases lues nous percutent par leur justesse, leur vérité, leur sarcasme et leurs rires. On sourie, souvent, devant la véracité et la force de ce qu’on lit. Envouté par ces eaux troubles dans lesquelles on nage la brasse coulée. On devient anguille, anguille des mots, anguille de l’histoire. Au fur et à mesure, on lâches la construction du texte pour faire corps avec l’histoire, on oublie les repères et plonge dans ce récit jusqu’à en boire la tasse, les virgules qui nous renvoient à l’alinéa suivant. Naufragé sur une ile de mots, rescapé d’une tempête d’un texte percutant et vertigineux. 

Bref un sacré roman, une sacrée lecture, un sacré écrivain et ce quelque chose qui fait que ce récit est unique, ce déchiffrage littéraire est beau, puissant, vertigineux.

 

« La vie est là entre nos bras comme un enfant innocent qui attend d'être bercé par tous les sens, il faut donc savoir bercer cet enfant de manière à ce qu'il fasse une espèce de sourire, »,
« lorsque les uns s'engouffrent dans les profondeurs infernales pour tromper leur entourage, les autres s'agrippent pour s'en sortir, »

 

A retrouver chez Bénédicte, Gloria qui a trouvé cette Anguille époustouflante, Merlieux qui a été stupéfiée, bouleversée, Geneviève a été hypnotisée par l’écriture, Eimelle… Un billet écrit dans le cadre de l’opération menée par l’Insatiable Charlotte et des 68 premières fois, éditions 2016.

 

 

Anguille sous roche
Ali Zamir

Le Tripode

Les 68 premières fois

68 PREMIERES FOIS EDITION 2016

 

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